1775, Anecdotes dramatiques, tome I, p. 559 On sait que les ennemis de Molière voulurent persuader au duc de Montausier*, renommé pas ses mœurs austères, et sa vertu sauvage, que c’était lui que Molière jouait dans le Misanthrope.
Il disait que la nature semblait lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les caractères des hommes.
Nous nous contentons de savoir, de ces choses-là, ce qu’en doivent savoir les honnêtes gens qui ne veulent pas rester étrangers à une science qui tient de si près à la poésie, à la littérature, à la critique, aux mœurs publiques et privées : Docentem Artes quas deceat quivis Eques atque senator… De ces choses-là, c’est un danger d’en trop savoir ; pour peu qu’on ensache causer avec ceux qui en jasent, à la bonne heure ! […] Ils ont dit mille choses inutiles : ils ont dit comment se battaient les hommes d’autrefois, et non pas comment ils vivaient ; ils se sont préoccupés des violences de l’espèce humaine, ils ont négligé d’en raconter les mœurs, les grâces, les élégances, les ridicules, si bien que c’est en pure perle, ou peu s’en faut, que ces misérables sept mille années que nous comptons depuis qu’il y a des hommes en société, ont été dépensées pour l’histoire des usages et des mœurs de la société civile. […] Dans cette étude des mœurs d’un grand peuple, l’antiquité n’est guère représentée que par Homère et Théophraste, Aristophane, Plaute et Térence, et chez nous Molière et La Bruyère, et puis rien, sinon — tout en bas — des barbouilleurs : Rétif de La Bretonne et Mercier du Tableau de Paris ! […] comparez ce chapitre tout nouveau du mérite personnel, avec le même chapitre des mœurs et des caractères de ce siècle ! […] C’en est fait, pour longtemps du moins, de la gloire des chefs-d’œuvre de ce beau siècle dont mademoiselle Mars était l’interprète ; c’en est fait de cette représentation fidèle des mœurs, des passions et des élégances d’autrefois ; nous retombons, en plein vaudeville, de toutes les hauteurs de la comédie ; de l’Œil-de-Bœuf nous revenons à la Chaussée-d’Antin ; du Versailles de Louis XV nous redescendons dans le faubourg Saint-Honoré ; trop heureux si nous ne sommes pas obligés de rétrograder jusqu’aux duchesses fraîchement peintes de la rue Notre-Dame-de-Lorette, jusqu’aux marquises de la rue du Helder !