Enfin, le 29 novembre de la même année, on joua la pièce entière chez Monsieur le Prince, qui s’en déclara toujours le partisan le plus zélé. […] Quelqu’un pouvait-il ignorer qu’il s’était montré constamment le protecteur de Molière ; que non seulement il n’avait pas défendu Don Juan, mais qu’il avait fait jouer à sa cour les trois premiers actes du Tartuffe, qu’il avait assisté depuis à la représentation de la pièce tout entière, et qu’il n’y avait rien trouvé de blâmable ? […] Dans le chef-d’œuvre de Molière toute méprise est impossible : avant de faire paraître son Tartuffe il emploie deux actes entiers à le peindre ; quand il entre, il est déjà connu ; quand il parle, on sait que c’est un misérable.
Non : il y a toujours un Dieu qui veut être adoré en esprit et en vérité : et quand tous les hommes lui refuseraient les justes hommages qui lui sont dus, ils ne lui seraient pas moins dus par chacun des hommes, et chacun des hommes ne serait pas moins criminel en les lui refusant. » C’est tout à fait dans le même sens et dans la même pensée que Kant a dit quelque part : « Il est absolument impossible de prouver par l’expérience avec une entière certitude qu’il y ait jamais eu un seul cas où une action, extérieurement conforme au devoir, a reposé uniquement sur des principes moraux et sur le respect intérieur du devoir. […] Tout porte à supposer que, tout entier à l’administration de son théâtre et à la composition de ses pièces, il mit peu de temps de reste pour se livrer à la philosophie, qu’il n’en prenait que ce qui était conforme au bon sens ; qu’il ne s’occupait pas non plus beaucoup de religion, mais que l’impiété insolente, jointe aux mauvaises mœurs (ce qui était fréquemment le cas), lui était désagréable ; que la dévotion outrée, affectant l’horreur du théâtre, devait facilement se tourner pour lui en cagotisme et en hypocrisie ; qu’en un mot, sur toutes ces questions, il était placé au point de vue mondain et latitudinaire, sans aucune hostilité systématique et en tout cas sans dépasser le déisme14. […] Qu’il y ait eu dans notre théâtre une comédie qui ait précisément pour objet la peinture du monde, c’est ce qui ne doit point étonner, car on peut dire que notre littérature tout entière est une littérature mondaine, née du monde et pour le monde.
D’une ville à l’autre, mille contrastes attiraient l’œil, et les originaux s’y découvraient d’autant plus sûrement que l’ébullition contagieuse de la Fronde avait gagné la France entière. […] Bientôt après, le 29 novembre, la comédie « entière et achevée97 » eut le droit de se faire applaudir au château du Raincy, en présence du grand Condé qui protégeait toute hardiesse d’esprit, et de la princesse Palatine, qui ne songeait guère alors à se convertir. […] N’ayant pas voulu s’attaquer de front à une coterie redoutable et distinguée157, Molière lança contre de maladroites et vulgaires imitatrices des traits qui atteignirent par ricochet l’espèce tout entière. […] On les promet tous deux, quand on fait chère entière, Ainsi que l’on promet et Tartuffe et Molière. […] C’est que sur le calcul, dit-on, de Cassini, Un astrolabe en main, elle a, dans sa gouttière, À suivre Jupiter passé la nuit entière.