Enfin, Molière, en combattant l’hypocrisie, n’a-t-il pas eu malgré toutes ses précautions et ses apologies, un dessein plus profond, et le Tartuffe ne serait-il pas l’essai et la première escarmouche du grand combat du xviie siècle contre l’Église ? […] Nous n’avons pas à entrer dans l’appréciation littéraire de Tartuffe, qui n’est pas de notre ressort et qui ne rentre pas dans notre dessein. […] Et il prétend justifier à la fin sa comédie si pleine de blasphème à la faveur d’une fusée qu’il fait le ministre ridicule de la vengeance divine ; même, pour mieux accompagner la forte impression d’horreur qu’un foudroiement si fidèlement représenté doit faire dans les esprits du spectateur, il fait dire en même temps au valet toutes les sottises imaginables sur cette aventure10. » On voit que Don Juan ne fut pas plus à l’abri de la critique des dévots que ne l’avait été le Tartuffe, mais peut-être, comme le dit un des apologistes de Molière, est-ce l’une de ces pièces que l’on continue à poursuivre dans l’autre : « À quoi songiez-vous, Molière, dit cet apologiste, quand vous fîtes dessein de jouer le Tartuffe ?
Rousseau, il y voit « trop ouvertement le dessein de déshonorer Molière, » et il oppose à Grimarest l’autorité de Mlle Poisson, d’après laquelle Molière était « complaisant et doux. » Grimarest n’avait pas d’aussi noirs desseins ; tout son livre témoigne, au contraire, d’intentions excellentes ; mais sa plume est lourde, l’art des nuances lui manque ; il peut dire vrai pour le fond des choses et ne pas bien choisir ses mots. […] C’est encore de Visé qui nous renseigne sur ce point, et de façon très complète : « Après le succès de l’Étourdi et du Dépit amoureux, son théâtre commença à se trouver continuellement rempli de gens de qualité ; non pas tant pour le divertissement qu’ils y prenoient (car l’on n’y jouoit que de vieilles pièces) que parce que, le monde ayant pris l’habitude d’y aller, ceux qui aimoient à se faire voir y trouvoient amplement de quoi se contenter ; ainsi l’on y venoit par coutume, sans dessein d’écouter la comédie et sans savoir ce que l’on y jouoit. » Il n’y a rien de tout à fait nouveau en matière de théâtre ; l’un des plus habiles directeurs qu’ait eus la Comédie-Française ne s’y prit pas autrement pour raffermir la fortune chancelante de la maison ; doucement attirée, la société élégante y vint par mode, et le grand public, suivant l’exemple, y vint par imitation et y resta par goût.
Ses comédies ont bien chacune un dessein particulier ; sans quoi elles manqueraient de consistance26 et se ressembleraient toutes. […] Que si enfin, animé par une veine heureuse de folie, le poète comique se joue de ses propres inventions, les exagérant à dessein et transformant ses portraits en caricatures, alors il s’élève jusqu’à la farce, et les critiques en chœur s’écrient qu’il dégrade et avilit son talent, qu’il écrit pour la foule, et que Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe On ne reconnaît plus fauteur du Misanthrope. […] L’ancienne poésie, au contraire, était de la poésie démocratique ; on s’y résignait à l’anarchie, plutôt que d’enchaîner l’imagination du poète, relativement aux desseins et à la conduite qu’il prête à ses personnages, comme à l’égard des pensées isolées, des allusions du moment et des saillies imprévues.