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107. (1747) Notices des pièces de Molière (1666-1669) [Histoire du théâtre français, tome X] pp. -419

« Molière, pour nous donner sur la scène un tableau fidèle de la vie civile, dont le théâtre est l’image, étudiait avec soin le geste, le ton, le langage de tous les sentiments dont l’homme est susceptible dans toutes les conditions. […] « Toute cette pièce est traitée de la même sorte que le sieur Molière a de coutume de faire ses autres pièces de théâtre, c’est-à-dire qu’il y représente avec des couleurs si naturelles le caractère des personnes qu’il introduit, qu’il ne se peut rien voir de plus ressemblant que ce qu’il a fait, pour montrer la peine et les chagrins où se trouvent souvent ceux qui s’allient au-dessus de leur condition ; et quand il dépeint l’humeur et la manière de faire de certains nobles campagnards, il ne forme point de traits qui n’expriment parfaitement leur véritable image. […] « [*]Quoique dans tous les temps l’expérience ait montré que la disproportion des conditions et des fortunes, la différence d’humeur, et d’éducation, sont des sources intarissables de discorde entre deux personnes que l’intérêt d’une part, et de l’autre la vanité, engagent à s’épouser ; cet abus n’en est pas moins commun dans la société : Molière entreprit de le corriger. […] M. l’archevêque révoqua donc sa défense, à condition que l’enterrement serait fait sans pompe et sans bruit ; il fut fait par deux prêtres qui accompagnèrent le corps sans chanter, et on l’enterra dans le cimetière qui est derrière la chapelle de Saint-Joseph, dans la rue Montmartre ; tous ses amis y assistèrent, ayant chacun un flambeau à la main.

108. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. De la Diction. » pp. 178-203

parcequ’elle n’a rien de forcé, & que tout homme de la condition d’Alceste auroit précisément parlé comme lui, s’il s’étoit trouvé dans sa situation.

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Aussi le Roi le connaît ; s’il lui fait rendre ses papiers et la cassette d’Argas qui étaient entre les mains de Tartuffe, et s’il rompt la donation faite par lui en faveur du drôle, c’est qu’il se rappelle ses services : « Et c’est le prix qu’il donne au zèle qu’autrefois « On vous vit témoigner en appuyant ses droits. » On sait d’ailleurs que Tartuffe qui, dans la pensée première de Molière, était de robe longue, devint homme d’épée à la reprise de 1667 : il portait « un petit chapeau, de grands cheveux, un grand collet, une épée et des dentelles sur tout l’habit » ; ainsi le décrit Molière dans son second placet ; il ne pouvait donc guère recevoir les avances que d’un homme d’épée comme lui, c’est-à-dire d’un gentilhomme ; il se trouvait chez Orgon à peu près dans les mêmes conditions que Chavaroche chez les Rambouillet, Sarrasin chez le prince de Conti, La Chambre ou Ballesdens chez Séguier, etc. […] Le Jeu de Paume de la Croix-Noire, où ils venaient s’établir, se trouvait situé, au contraire, à proximité des riches habitations du Marais et de la place Royale, et par conséquent dans des conditions apparemment plus favorables. […] Je fis tout ce que je pus pour les piquer par le titre de la Comédie, qui porte ce seul mot de PRÉTIEUSE, et ne descendis point au détail de cet endroit où une fille se trouvait préférer un faux Poète à un galant effectif et de condition, et qui, par une erreur d’esprit, donnait au mérite de ses ouvrages et de ses notions, ce qu’elle ôtait au droit des gens du siècle, qui suivent les sens et l’apparence, et tâchent d’y accorder la raison autant qu’ils peuvent par le ciment de l’intérêt, et par les prétextes de la fortune. Mais comme elles sont curieuses, elles y avaient été aussi bien que moi, et ne manquèrent pas de me renvoyer l’esteuf, et de m’assurer qu’elles s’y étaient très-bien diverties38. » Comme on voit, les quelques détails donnés ici ne correspondent pas à ceux fournis par Somaize ; nous n’y voyons point « deux femmes », « deux valets », non plus que « leurs maîtres », mais seulement « une Précieuse » (prototype de Madelon), un « faux poète » (quelque Mascarille), et un « galant effectif et de condition » (un La Grange). […] C’était le rêve de l’Illustre Théâtre accompli dans des conditions sans pareilles.

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