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151. (1697) Poquelin (Dictionnaire historique, 1re éd.) [graphies originales] pp. 870-873

Perrault s’est attiré beaucoup d’adversaires, pour s’être opposé fort vivement à ceux qui disent qu’il n’y a point aujourd’hui d’Auteurs, que l’on puisse comparer aux Homeres & aux Virgiles, aux Demosthenes & aux Cicerons, aux Aristophanes & aux Terences, aux Sophocles & aux Euripides. […] C’est pourquoi, ajoûte l’Auteur, il seroit très-difficile dans une galanterie si confuse de dire qui en étoit le pere ; tout ce qu’on en sçait est que sa mere assûroit que dans son dereglement, si on en exceptoit Moliere, elle n’avoit jamais pu souffrir que des gens de qualité, & que pour cette raison sa fille étoit d’un sang fort noble ; c’est aussi la seule chose que la pauvre femme lui a toûjours recommandée, de ne s’abandonner qu’à des personnes d’élite. […] Il a peut-être dit mille fois avec Horaced, j’aimerois mieux passer pour le plus chétif de tous les Auteurs, & être content, que d’avoir un si grand esprit, & un génie si admiré, & souffrir tant d’inquietudes. […] Cela veut dire, selon le sens de l’Auteur, que sa Muse avoit reçu de grands bienfaits, encore qu’elle ne les méritât point ; mais selon la Grammaire cela signifie, qu’encore que le Roi ne méritàt point ces bienfaits, il ne laissoit pas de les repandre sur la Muse de Moliere. […] Le sens de l’Auteur est que sa Muse ressembleroit à ses sœurs qui ont beaucoup de babil ; mais selon la Grammaire cela signifie clairement & uniquement qu’elle ne manqueroit pas de caquet comme les autres Muses en manquent.

152. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIII. Des Pieces intriguées par les Maîtres. » pp. 151-168

Jourdain, lui voler une bague & lui faire régaler sa maîtresse, se souciant fort peu de passer pour le Mercure du bourgeois : qu’on mette, dis-je, aujourd’hui un pareil intrigant dans une piece, & les gens du bel air vont lapider l’Auteur. […] Thomas Corneille est de tous les Auteurs celui qui a fait imaginer par des maîtres l’intrigue la plus fine, la plus agréable ; mais cette même intrigue, toute fine, toute agréable qu’elle est, nous prouvera que les ressorts imaginés par des personnages distingués ne peuvent pas conduire la machine bien loin, avec ce ton, cette décence, ces égards quelquefois ridicules, que les gens du monde exigent aujourd’hui, & ne sauroient suffire à une grande piece. […] L’on pourra m’objecter, peut-être, que du temps de Thomas Corneille, le beau monde étant moins difficile sur les bienséances, l’Auteur devoit le peindre tel qu’il étoit ; que s’il eût travaillé dans ce temps-ci, son intrigue auroit été préparée & filée avec toute la décence, toutes les bienséances dignes du rang de ses intrigants, & d’un siecle aussi délicat, aussi civilisé que le nôtre. […] Barthe : cette piece en est digne à tous égards, puisque l’Auteur est, de nos jeunes Comiques, celui qui fait voir un talent plus décidé ; puisque son ouvrage est resté au théâtre, qu’il a eu le plus grand succès & qu’il le mérite ; puisqu’on y voit des scenes que les maîtres de l’art ne désavoueroient pas ; puisqu’enfin l’Auteur vise à la gloire de faire regner dans ses pieces le ton de la bonne compagnie.

153. (1922) La popularité de Molière (La Grande Revue)

On sait que Goethe avait pour son œuvre la plus haute estime, qu’il lisait chaque année plusieurs de ses pièces et en recommandait l’élude aux auteurs dramatiques. De son vivant, malgré bien des attaques, il fut jugé le premier auteur de son siècle par le plus sévère et le meilleur des juges, et, si au xviiie  siècle, sa gloire subit en France quelque obscurcissement, elle brilla d’un plus vif éclat au xixe . […] Il n’est pas seulement auteur ; il est acteur, homme de théâtre ; il sait ce qui convient au spectateur, ce qui porte sur lui. […] Pour la première fois, la seule, peut-être, le moine de la Merci, auteur du Convive de Pierre, répondit par la négative. […] De même, les haines privées de l’auteur de La Critique de l’École des Femmes, de Tartuffe, de Don Juan, ont leur écho dans ces pièces, et leur donnent par la sincérité, par la violence même des accents, une forte impression de vérité et de réalisme.

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