Pour l’ignorance, qui est la prison de l’esprit, la leçon n’est pas moins bien donnée, et la sotte $ Arnolphe lui échappe aussi bien que la cloîtrée de Sganarelle. […] « C’est assez pour elle, » dit Arnolphe, De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer330. […] Arnolphe a fait l’impossible pour accomplir l’abrutissement dans l’âme de celle qu’il se destine : Dans un petit couvent, loin de toute pratique, Je la fis élever selon ma politique, C’est-à-dire, ordonnant quels soins on emploieroit Pour la rendre idiote autant qu’il se pourroit.
Il rit, à la vérité, et bruyamment, lorsqu’Arnolphe attend à la porte de sa propre maison, s’impatiente, tempête et reçoit un coup par la maladresse d’un lourdaud, qu’il a pris à son service à cause de sa simplicité ; il rit, non parce que ce coup est comique, et qu’Arnolphe ne l’a pas volé, mais parce que c’est un coup ; du même gros rire il éclaterait, s’il voyait l’acteur chargé du rôle grave et insignifiant d’Oronte, faire un faux pas en traversant la scène. […] Demain il examinera, bien à froid, si le personnage principal, Arnolphe, est comique subjectivement, c’est-à-dire pour lui-même, ou s’il l’est seulement pour le spectateur. Il découvrira que cette loi essentielle du genre est violée ; qu’Arnolphe n’est comique qu’objectivement et pour autrui, qu’il se prend lui-même trop au sérieux, qu’il met à poursuivre son but une âpreté de volonté tout à fait incompatible avec la gaieté comique, et que, par suite, quand finalement il échoue, loin de pouvoir rire, comme les autres, libre et satisfait, il reste l’objet piteux et déconfit d’un rire étranger306. […] Au fond, dit-elle, ce ne sont pas les événements qui importent ici ; c’est l’impression que les événements racontés produisent sur Arnolphe. […] Uranie répond qu’à la vérité ces mots ne sont pas du tout plaisants en eux-mêmes, mais qu’ils le deviennent par réflexion à Arnolphe, et que l’auteur ne les a pas donnés, comme des traits d’esprit, mais comme des traits de caractère.
L’égoïsme, forme plus accentuée et plus basse de l’amour propre, est aussi une des matières universelles de Molière : les pères de l’Etourdi et du Dépit amoureux, égoïstes qui ne songent qu’à leur argent et leur tranquillité168 ; ceux du Mariage forcé et du Mari confondu, égoïstes qui ne songent qu’à se débarrasser de leurs filles169 ; Harpagon, égoïste qui ne songe qu’à ses écus170 ; Arnolphe, égoïste qui ne songe qu’à se fabriquer une femme au gré de son souhait et un nom au gré de son orgueil171 ; don Juan et Tartuffe, égoïstes hardis qui courent au plaisir à travers le crime, l’un suivant ses effrénés caprices, et l’autre avec une prudence raffinée172 ; Chrysale, égoïste timide qui ne songe qu’à sa soupe173 ; Argant, égoïste douillet qui ne songe qu’à sa santé, et déshérite ses enfants pour s’assurer une garde-malade174 ; Philinte même, égoïste discret qui n& ménage les autres que pour n’avoir pas à les combattre175 : la liste en est longue, et comprend plus des trois quarts des personnages de Molière. Molière semble n’avoir oublié aucun des points sur lesquels doit être parfait son honnête homme : il ne tolère ni l’extravagance de l’important-, qui dérange tout le monde, qui veut que tous S’occupent de lui, et qui tranche toutes lés questions avec une suffisance burlesque176 ; ni la politesse écervelée de ceux qui se rendent importuns à force de civilités, et s’obstinent à rendre service aux gens malgré eux177 ; ni la sotte vanité de rougir de Ses pères, de se faire appeler M. de la Souche au lieu d’Arnolphe 178, ou de vouloir, au risque de ruiner sa maison, devenir, de bourgeois, gentilhomme179 : ce travers, qui semblerait au premier abord excusable, peut aller pourtant, jusqu’à une réelle dégradation morale, aboutir à la perle des biens péniblement acquis, et au malheur des enfants ridiculement mariés180. […] L’École des maris, Ariste et Sganarelle ; l’École des Femmes, Chrysalde et Arnolphe ; les Femmes savantes, Trissotin, Vadius, Clitandre ; les marquis, les pédants, les médecins, etc.