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42. (1910) Rousseau contre Molière

Arnolphe, vieux relativement à Agnès, l’a laissée ignorante et idiote pour qu’elle l’aimât. […] Remarquez du reste qu’après cet élargissement en quelque sorte de son programme — car, encore une fois, c’est plutôt un élargissement qu’une contradiction — Rousseau se ramène à sa Sophie initiale, à sa Sophie primitive, rurale, ménagère et forestière, qui, tout compte fait, n’est qu’une Agnès sachant un peu de musique. […] Mais, d’un autre côté, Agnès aussi est un égoïsme féroce et elle aussi est la nature elle-même. […] 3° Tous les personnages qui s’opposent à l’instinct de la nature sont moqués par Molière ; « Inversement, nous dit-on, tous ceux qui suivent la nature, la bonne nature, les Martine et les Nicole, son Chrysale et sa Mme Jourdain, Agnès, son Alceste, son Henriette, avec quelle sympathie ne les a-t-il pas toujours traités ! […] Agnès est dans le sens de la nature par sa stupidité et sa sensualité vite éveillée ; Alceste lest par sa franchise, sa vive et prompte pénétration des défauts des hommes et la force de caractère par laquelle il bride sa sensualité, par quoi il serait humilié s’il l’écoutait.

43. (1879) Les comédiennes de Molière pp. 1-179

N’est-ce pas lui qui, avec Mlle de Brie, a créé le jeu éternel d’Agnès ? […] Ce fut à ce point que quarante ans plus tard, Mlle de Brie jouait encore les Agnès ; ses camarades la trouvèrent décidément trop jeune et donnèrent son emploi à Mlle du Croisy. […] Elle vint, joua le rôle en habit de ville, parce qu’on ne voulut pas même lui donner le temps d’en changer, reçut des applaudissements qui ne finissaient point, et conserva le rôle d’Agnès jusqu’à sa retraite. […] Elle joua les confidentes avec une grâce abandonnée, mais quand elle dut remplacer Mlle de Brie dans les Agnès, on ne lui trouva pas, elle qui avait vingt ans, les airs de naïveté et de jeunesse que la maîtresse de Molière avait conservés avec tant de charme jusqu’à plus de soixante ans. […] J’ai mis au monde vingt-quatre ou vingt-huit enfants, je ne sais plus combien ; une Agnès ou une d’Escarbagnas eût passé chaque fois six semaines au lit, — les paresseuses ! 

44. (1861) Molière (Corneille, Racine et Molière) pp. 309-514

Arnolphe élève la jeune Agnès dans un esprit tout à fait semblable à celui qui présidait à l’éducation d’Isabelle. […] Il craignait qu’Agnès ne péchât par trop de science; elle péchera par ignorance, et se jettera à la tête du premier damoiseau venu. […] Feront-ils de l’humanité une Agnès ingénue, ou bien travailleront-ils à en faire une femme libre et forte, capable de se conduire par elle-même ? […] Dans L’École des maris et dans L’École des femmes, il joua les Arnolphe et les Agnès. […] Il y a partout tant d’arbres aux fruits empoisonnés, et la race des serpents s’est si fort propagée, que l’on peut, presque à coup sûr, prédire à toute Agnès le sort de notre mère commune.

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