Contester la morale et la moralité de Molière ! […] Les moralistes qui ont connu et pratiqué la vraie morale pensent tout autrement. […] Il fut professeur de grammaire, de rhétorique, de philosophie et de théologie morale. […] Ils lui diront : « La vérité n’y est pas observée, la morale y est trahie. […] La profondeur morale de l’œuvre leur parait supérieure encore à sa beauté littéraire.
Les romanciers peuvent séparer ces choses : mais c’est un mensonge à la réalité comme à la morale, et c’est par ce mensonge que leurs œuvres sont souvent funestes. […] Les paroles de Sganarelle ne sont que celles d’un valet ridicule, et le refrain qui ahurit M. de Pourceaugnac n’est que le couronnement d’une farce folle ; mais sous ce ridicule et cette folie demeure et brille une vérité morale de premier ordre, affirmée nettement par Henriette et Clitandre dans les Femmes savantes, prouvée implicitement de la manière la plus victorieuse et la plus touchante par Elmire dans le Tartuffe. […] Toute cette morale est dans Molière. […] On n’a pas de paroles pour faire ressortir la délicatesse et la perfection de cette morale supérieure, sentie par un cœur d’une honnêteté rare, comprise par un génie d’une étendue étonnante, exprimée par un talent sans égal. Non-seulement cent personnages mis sous les yeux du spectateur offrent en exemple la morale du mariage ; mais encore, de tous les discours mis çà et là dans leur bouche, on peut tirer un ensemble de maximes, qui, réunies et mises en ordre, constituent un véritable code moral du mariage : je demande de quel auteur dramatique ou de quel romancier on en peut tirer autant ?
En morale, le beau le touche plus que le bon. […] C’est alors pourtant, alors qu’il ne moralise plus, qu’il exerce l’influence morale la plus sérieuse et la plus profonde. […] Mais nous connaissons l’austérité de votre morale. […] Aussi le Tartufe a-t-il autre chose qu’un intérêt littéraire; il a une portée historique et morale que l’on ne saurait assez méditer. […] Mais ce n’en est pas moins une grande figure morale.
Les gens de lettres doivent bien se persuader que la littérature de tous les temps reçoit des directions inévitables des mœurs régnantes dans la nation, et que c’est une des lois du mouvement en politique et en morale, d’amener à la suite d’une longue période de dissolution, une période de réserve affectée et de pruderie. […] Quand une nation se repose après une révolution ou après de grandes dissensions, le parti victorieux s’applique encore quelque temps après la victoire à exercer une espèce de vengeance morale sur les opinions qui régnaient avant le combat ; il réprouve tout le système des anciennes idées, des anciens principes en morale, en littérature, en philosophie, même dans les arts.
La justesse, la vérité, la morale, la philosophie ne sont pas incompatibles avec l’ennui. […] Le jeu brillant de chaque Acteur, A l’abri de quelque lueur, Fera claquer sa morale ordinaire, Etonnera le connoisseur, Et le forcera de se taire, Et d’admirer, en dépit de son cœur, La complaisance du Parterre, &c. […] J’ai cité de préférence cette piece, non qu’elle soit parfaite dans son espece, puisque malgré le champ vaste qui se présentoit à l’Auteur, ses acteurs n’y font que lire des titres ou des almanachs, ce qui rend les épigrammes très monotones, & ennuyeuses par conséquent, puisque la Divinité qui est censée être l’héroïne de la piece, & qui pourroit dire les choses les plus fines, les plus ingénieuses, n’y dit rien ; puisqu’enfin la partie morale, qui devroit être excellente dans un siecle où les choses les plus sérieuses sont du ressort de la frivolité, se réduit à sept à huit vers, excellents à la vérité, mais ridicules dans la bouche du Chevalier avec le caractere duquel ils jurent. Comme M. de Boissi semble d’abord avoir voulu saisir tout ce que ce dernier genre a d’avantageux pour réunir l’utile à l’agréable, la morale la plus saine au comique le plus piquant & le plus varié, en critiquant alternativement les modes, les usages, l’esprit & le cœur ; comme, dis-je, l’Auteur semble n’avoir apperçu tous les ressorts de ce dernier genre que pour nous les indiquer & pour ne les employer que superficiellement ou avec gaucherie, sa piece aura pour nous le mérite d’un double exemple.
Cette idée morale de l’ignorance; employée comme cadenas pour emprisonner un cœur enfant, tout ingénieuse qu’elle est et prêtant aux développements les plus comiques, ne nous suffirait point. […] Est-ce parce qu’elle donne des leçons de métaphysique, de physiologie, de théologie même un peu, et de morale regardée à l’envers? […] ce n’est pas la place qui manque; dans tous ces théâtres en chambre qui font foule à Paris, il y aurait où mettre des montagnes de morale. Et peut-être que la morale ne manque pas non pins. Mesdames, si vous faisiez une commande de morale, on serait capable de vous en trouver quelque part dans les coins, derrière les vieux décors.
Feydeau pourrait bien n’être pas suffisamment morale, ou que M. […] Ici encore c’est le résultat qui donne la leçon morale. […] Valeur morale du théâtre de Molière. […] Or celles-là ont, en général, une portée morale, et témoignent d’un esprit plus élevé. […] Mais ce n’en est pas moins une grande figure morale.
Peindre de tels enfants autrement qu’ils ne sont, qu’ils ne peuvent être, c’eût été épargner à leurs tyrans ce qu’il y a de plus propre à les corriger ou du moins à les faire rougir, et leur proposer à eux-mêmes l’inutile modèle d’une vertu impraticable ; c’eût été, en un mot, pécher contre la vérité, sans aucun profit pour la morale. […] Je rappellerai aussi qu’on a cru s’apercevoir le germe de l’idée morale développée par Molière, dans un passage de l’Aululaire de Plaute. […] Il faut en revenir ici aux principes que j’ai rappelés, à l’occasion de L’Avare, sur la fin et les moyens de la comédie, en ce qui regarde la leçon morale. […] Comment le tableau dramatique, qui ne fait que rendre la leçon morale plus frappante et plus persuasive, pourrait-il être nuisible et coupable, quand cette leçon elle-même est salutaire pour ceux qui la reçoivent, et méritoire pour ceux qui la font ? […] Ceux qui les ont flétries de cette qualification, ont confondu la morale et la décence.
La Fontaine était, des quatre amis, celui qui avait dans l’esprit le plus de notions de morale, qui avait les plus justes et les plus étendues, depuis la morale des rois, qui est si bien établie dans toutes celles de ses fables où se trouve un lion, jusqu’à celle du prolétaire qui s’adapte à la fourmi ; mais il était aussi celui de cette société à qui les devoirs domestiques et les préceptes de la continence étaient le plus indifférents et la morale pratique le plus étrangère. […] J’ai dit les griefs de la morale contre La Fontaine. […] Elle appréciait ces hommes illustres, elle les aimait, elle avait quelque chose de leur talent, beaucoup de la sagesse de leur esprit, un goût aussi pur en littérature, seulement plus délicat en tout ce qui touchait à la décence et peut-être à la morale.
Pour sa morale et sa conception de la vie, c’est encore son théâtre qui peut nous en donner la clé. […] Molière devait à Gassendi le point de départ de cette morale, car de la métaphysique de son maître il prit rien ou peu de chose. […] Joignons à ces causes la morale épicurienne à laquelle il avait donné la direction de sa vie. […] Ce qui parait aussi certain, c’est que, à ces maux physiques, vint se joindre une affection morale, l’hypocondrie. […] Et, de même, la morale qui se dégage de son œuvre n’eût-elle pas gagné à s’inspirer des idées de son siècle ?
Nous retrouverons l’empreinte de cette origine bourgeoise et parisienne dans certaines vulgarités de la morale de Molière, et dans certaines familiarités de son style. […] Mais ne nous contentons pas de cette vue rapide et superficielle de la morale de Molière. […] Ou bien enfin est-ce la morale ? je veux dire la morale usuelle, la morale courante, la morale des « honnêtes gens » ? […] Par là sa place est considérable dans l’histoire des idées et dans l’histoire de la morale.
Il vaudrait mieux peut-être que ces contre-temps vinssent toujours de l’étourderie de Lélie, l’action en serait plus nette et plus morale. […] La bonne comédie naît enfin avec les Précieuses Ridicules ; ce n’était pas encore la perfection du genre, mais c’était l’ébauche du genre le plus parfait ; c’était à quelques égards, une farce, mais une farce morale et philosophique ; si le comique était un peu chargé, il était fort, il était vrai.
Là encore est la morale du Misanthrope, aussi forte et aussi délicate que celle qui ressort du caractère d’Alceste. […] On trouverait plutôt à redire aux femmes qui, dans la pratique de la vie, par une monstruosité morale déjà signalée409, mêlent des qualités et des défauts contradictoires : toutes les entremetteuses citées plus haut410 ont trop peu de conscience, et trop de cœur et d’esprit. […] Mais ces fautes, qui touchent autant à l’art qu’à la morale, sont trop secondaires pour diminuer en somme l’éclat et la moralité des femmes de Molière. […] I, II), une petite leçon morale sur la jalousie entre sœurs, leçon que Saint-Marc Girardin fait ressortir dans son Cours de Littérature dramatique, tome II, XXX.
C’est une étude attachante que de suivre un tel homme dans tous les caprices de son inépuisable fécondité, et d’apprécier à la mesure de la morale toutes les fantaisies d’un génie si puissant pour le bien ou pour le mal. […] Le père, qui donne la vie et l’instruction, qui fait des hommes et des citoyens à son image, est, de par l’universelle morale, la puissance toujours et partout respectée par toutes les religions et tous les codes. […] Si cette détestable leçon était donnée d’une manière formelle, peut-être serait-elle moins démoralisatrice ; mais grâce aux ridicules d’avarice, d’égoïsme, de routine, d’abus d’autorité attribués libéralement aux vieillards ; grâce aux qualités de cœur accordées surabondamment aux jeunes gens, il n’y a rien qui choque, à première vue, dans cette continuelle révolte des cheveux blonds contre les cheveux blancs : la raison, la morale même semble l’approuver ; et de là sort enfin une telle habitude de dénigrement pour l’autorité paternelle,.qu’on doit peut-être attribuer à Molière une part de notre Révolution dans ce qu’elle a eu de plus mauvais, une part dans l’opposition systématique aux droits du père qui règne jusque dans nos codes actuels. […] On ne saurait trop faire remarquer cette étonnante et désastreuse lacune dans la morale de Molière. On arrive à tirer de son théâtre des préceptes, exprimés avec une délicatesse et une fermeté supérieures, sur les devoirs de l’homme et de la femme envers eux-mêmes, sur leurs devoirs réciproques quand ils s’aiment et s’unissent, sur leurs devoirs envers les semblables, envers la patrie, envers Dieu : en sorte que la morale de Molière aura exprimé ce que doit être un homme, un époux, un citoyen, même un chrétien710 ; et elle n’aura nulle part laissé entrevoir ce que doit être un père.
« Quelle morale ! s’écrie Alceste, quelle morale ! […] Or Rousseau veut une pièce morale ou au moins moralisante ; il veut voir dans une pièce ou des vertueux, ou un vertueux, ou un professeur de morale. […] Cela ne regarde pas la morale générale. […] L’auteur avait voulu prouver que quand on n’a pas de religion, on n’a pas de morale, que quand on n’a pas de morale on n’a pas de patriotisme, que quand on n’a ni religion ni morale ni patriotisme on est capable de tous les crimes.
De plus, il y a ici, ce qui alors n’était pas plus connu, de la morale et des caractères. […] Sans doute il faut être sincère; mais quelle règle de morale nous oblige à dire à un homme qu’il fait mal des vers ? […] Qu’importe à la morale d’Alceste que le sonnet d’Oronte soit bon ou mauvais ? […] Est-ce encore le bon sens, est-ce la morale, est-ce la probité qui engage cette dispute, dont tout le fruit est un éclat fâcheux, et l’inconvénient de se faire un ennemi gratuitement? […] La distinction entre la vraie piété et la fausse dévotion, si solidement établie par Cléante, est en même temps la morale de la pièce et l’apologie de l’auteur.
Dans cette passion, comme dans toute leur conduite, ils seront d’abord poussés par ce sens naturel, infus dans toutes les âmes, qui est le fondement de la morale. […] C’est une œuvre essentiellement morale, de montrer que la passion qui tient le plus de place dans le monde, et dont les excès sont le plus funestes, est pleine de joie et de dignité, quand l’homme sait se garder assez pour n’y céder que dans le temps et les circonstances qui peuvent la rendre utile, noble, et faire d’elle le soutien et le charme de la vie. […] Sans doute tous les instincts de notre âme, qui sont les invariables points de départ de la morale, peuvent être égarés de leur voie et détournés vers les aberrations les plus funestes ; mais ils existent quand même, et vivent immortels au milieu des erreurs et des misères, même des dégradations de l’humanité : le philosophe qui les décrit, le poète qui les peint, sont des hommes utiles. […] Quand on repense à la fausseté et à l’indécence des amours applaudis sur tant de théâtres, à la corruption insinuée chaque jour au peuple par tant de romans pleins de passions hors nature, à la gloire acquise par tant d’auteurs au moyen des théories d’amour les plus brutales et des peintures d’amour les plus lubriques, on reconnaît que Molière a rendu service à la morale en présentant sans cesse le spectacle, conforme à la nature et à la raison, d’amours jeunes, joyeux et honnêtes. Et quand, après avoir passé en revue toute la littérature amoureuse, on revient aux amoureux de Molière, on demeure convaincu que nul poète n’a jamais conçu ni représenté l’amour d’une manière plus vraie, plus touchante, plus morale.
On ne parle ici qu’au point de vue de la morale universelle ; mais on ne peut s’empêcher pourtant de remarquer qu’à une époque où les rois dansaient en costume d’Apollon devant la cour, et étaient traités de dieux par les poètes et par Molière même597, il y avait quelque chose de particulièrement immoral et odieux à proclamer Qu’un partage avec Jupiter N’a rien du tout qui déshonore598. […] Ici encore, c’est Bossuet qui a raison614 ; et non-seulement la morale, mais le goût est avec Bossuet. […] Molière la terreur des précieuses, Molière le peintre d’Henriette, a usé son temps et son génie à collaborer avec Quinault pour chanter ...ces lieux communs de morale lubrique Que Lulli réchauffa des sons de sa musique619. […] avec cette différence que la scène de l’École des Femmes est toute morale, puisqu’Arnolphe n’a que ce qu’il mérite. […] Satire X, v. 131 : Par toi-même bientôt conduite à l’opéra, De quel air penses-tu que ta sainte verra D’un spectacle enchanteur la pompe harmonieuse, Ces danses, ces héros à voix luxurieuse, Entendra ces discours sur l’amour seul roulans, Ces doucereux Renauds, ces insensés Rolands ; Saura d’eux, qu’à l’amour, comme au seul dieu suprême, On doit immoler tout, jusqu’à la vertu même ; Qu’on ne sauroit trop tôt se laisser enflammer ; Qu’on n’a reçu du ciel un cœur que pour aimer ; Et tous ces lieux communs de morale lubrique Que Lulli réchauffa des sons de sa musique ?
— De la comédie et de ses plaisirs profanes, de ses licences et de sa joie, on a voulu faire un cours de bonne et pratique morale ; on a prétendu que rien ne résistait à ses enseignements… elle s’est toujours ressentie et toujours elle se ressentira de son origine errante. En vain Ménandre, en vain Térence et Molière ont apporté à cette œuvre brutale, les élégances de leur génie et la politesse de leur esprit, l’œuvre en elle-même est restée une œuvre un peu au-dessous de la philosophie et de la morale la plus facile, c’est-à-dire une œuvre ouverte aux plus violentes et aux plus irrésistibles passions. […] Encore une fois, c’est un mensonge, cette morale en pleine bouffonnerie, en pleine licence, en plein exercice de l’amour, de la colère, de la tromperie, de la gourmandise et des plus mauvais instincts du cœur humain. […] Comptez aussi, et pour beaucoup, pour ces mauvais résultats (en bonne comédie et en bonne morale) de l’art dramatique, l’intervention directe de la comédienne et du comédien, dans ces fables et dans ces histoires qui enseignent à pécher10. […] » Tels sont les obstacles, voilà les objections, et il nous eût semblé que nous trahissions un devoir en acceptant ces définitions complaisantes qui font de la comédie un utile enseignement, une leçon éclairée, une morale abondante, en dépit de ses origines : le vice, l’insolence, la violence et le besoin de nuire !
Elle corrigea non seulement la capitale et Molière lui-même, mais aussi la cour et le monarque que Sa jeunesse n’avait pas enlevé pour toujours aux lois de la bienséance et de la morale. […] Jusque-là, les choses obscènes n’avaient été réprouvées que par la morale religieuse, qui les avait qualifiées d’impudiques.
Ainsi la morale des sages et la morale de la vie sont également satisfaites, quand on le voit puni d’un travers innocent par une contrariété passagère, et récompensé de sa vertu par l’avantage d’échapper à un malheur certain47. »Célimène, elle aussi, paye sa dette. […] En résumé, Molière étudie les symptômes d’une maladie aiguë qui provient d’un excès de santé morale. […] Sa morale, qui semble se réduire aux dehors civils de la bienséance et aux lois capricieuses de l’usage, n’est donc point un modèle proposé par Molière. […] Mais hâtons-nous d’analyser rapidement un rôle dont l’importance est capitale, puisqu’il sert de contrepoids à celui de Tartuffe, et représente la morale de la pièce. […] Qu’un comédien excommunié par l’Église, et dénoncé du haut des chaires comme un corrupteur de la morale publique, n’ait pas été un chrétien très fervent, nul ne s’en étonnera.
Si l’on prétend qu’elle est plus morale, parce qu’elle abonde en sages maximes et en sentences dorées, je ne lui contesterai pas ce caractère hautement philosophique. […] il n’a pas mis d’intention morale. […] Rousseau a déjà relevé cette ambiguïté morale du Misanthrope, qui fait que les choses les plus dignes de respect y semblent tournées en ridicule. Sa critique est fort juste, mais ses idées générales sur les rapports de la morale et de la comédie sont entièrement fausses. Le secret du poète comique pour empêcher que nos sentiments moraux ne soient blessés, ce n’est pas de tenter entre son art et la morale une conciliation impossible, c’est de les séparer par convenance.