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12. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE IX. Du point où doit commencer l’action d’une fable comique. » pp. 172-177

Dans le Tartufe, lorsque l’action commence, Marianne est déja promise à Valere ; Tartufe s’est déja introduit dans la maison d’Orgon ; & Orgon, qui a déja changé de résolution, a projetté de donner sa fille à l’imposteur. Ne m’avouera-t-on pas que la marche de la piece seroit bien moins chaude si l’amour de Marianne & de Valere ne faisoit que de naître, & si Tartufe n’étoit pas encore chez Orgon, si le mariage de Tartufe & de Marianne n’étoit pas conclu dans la tête du pere ?

13. (1824) Notice sur le Tartuffe pp. 91-146

Il l’avait presque associé à son succès ; c’est à Louis XIV qu’appartient la première idée de la grande scène d’Orgon et de Dorine, et le poète ne manqua pas de le dire aux flatteurs empressés de le répéter. […] Cette scène rattachait mieux encore le deuxième acte à l’action principale, et faisait vivement désirer aux spectateurs l’entrevue de Tartuffe et de la femme d’Orgon. […] C’est dans la seconde scène du deuxième acte qu’Orgon prétend que Tartuffe est gentilhomme, et que Dorine répond : Oui, c’est lui qui le dit. […] Il en est tellement préoccupé qu’il ne semble pas très empressé d’accepter la main de Marianne, et qu’il se laisse plutôt solliciter par Orgon qu’il ne le sollicite lui-même. […] Ainsi, quand Orgon, éclairé sur la scélératesse du misérable qu’il a recueilli, se jette, comme tous les fanatiques, dans un autre extrême, et s’écrie : C’en est fait, je renonce à tous les gens de bien !

14. (1910) Rousseau contre Molière

Le public rit d’Orgon et méprise Tartuffe. […] Si avant tout il est ambitieux, il cherchera à épouser la fille d’Orgon et à accaparer toute la fortune ; mais non pas à séduire en même temps la femme d’Orgon, et il réservera cette opération secondaire pour plus tard. […] Orgon est l’Argan de l’Eglise et Argan est l’Orgon de la Faculté. […] Tartuffe a réussi, mais à cause d’Orgon. […] C’est grâce à Orgon que sa pièce a réussi, le public jouissant de la bêtise d’Orgon, s’indignant contre Tartuffe, ridicule du reste lui-même, et ne sachant pas trop, et c’est ce qu’il fallait, lequel il méprise et duquel il se gausse le plus.

15.

J’ose penser que dans la différence de costume adoptée au théâtre il doit y avoir une erreur : Orgon doit être vêtu comme Cléante son frère, Damis, comme Orgon son père et son oncle Cléante. […] Poussons plus loin : nous verrons qu’Orgon n’est pas seulement riche, mais qu’il est gentilhomme. […] Mais ni Orgon ni Tartuffe n’étaient de simples gentilshommes, ils étaient gens de cour : c’est à ce titre et non à un autre que Tartuffe peut aller en personne dénoncer Orgon au Roi ; c’est à ce titre et non à un autre qu’Orgon a auprès du Roi le facile accès qui lui permet d’aller avec Cléante se jeter à ses pieds et lui rendre grâces de ses bontés. […] Tartuffe est à gauche, Elmire au milieu, Orgon sous la table. […] La gravure est celle de 1682, retournée, c’est-à-dire ayant à droite ce qui est à gauche dans celle-ci, de sorte que Elmire montre Orgon de la main gauche, qu’Orgon s’appuie sur la main droite, etc. — Au bas, en titre : Tartuffe.

16. (1877) Molière et Bourdaloue pp. 2-269

Forcer la cassette d’Orgon et fasciner Elmire, la belle affaire ! […] On ne peut imaginer Tartuffe, tel que le peint Molière, dans une autre maison que celle de l’inepte Orgon. […] Est-ce qu’Orgon ne se confesse pas ou faut-il supposer que Tartuffe a gagné le confesseur d’Orgon ? […] Orgon tout seul avec MmePernelle, aussi folle que lui, demeure pour soutenir l’honneur du nom chrétien. […] Conçoit-il le moindre scrupule d’avoir dessiné ce caractère d’Orgon, plus infamant pour la piété que celui même de Tartuffe, puisqu’enfin si Tartuffe est un scélérat qui ne peut inspirer que l’horreur, Orgon est un honnête homme et un dévot sincère qui ne peut inspirer que le mépris ?

17. (1800) De la comédie dans le siècle de Louis XIV (Lycée, t. II, chap. VI) pp. 204-293

A peine Orgon a-t-il parlé, qu’il se peint tout entier par un de ces traits qui ne sont qu’à Molière. […] Mais si la scène où Orgon est caché sous la table était difficile à amener, était-il plus aisé de l’exécuter ? […] et comme l’auteur enchérit sur ce qu’il semble avoir épuisé, quand madame Pernelle joue avec Orgon le même rôle que cet Orgon a joué avec tous les autres personnages de la pièce, lorsqu’elle refuse obstinément de se rendre à toutes les preuves qu’il allègue contre Tartufe ! […] Un honnête homme faussement accusé ne tiendrait jamais ce langage; mais aussi Orgon n’est pas un homme qui connaisse le langage de la vertu et de la probité. […] Il commence par la soupçonner d’un intérêt très-vraisemblable, celui qu’elle peut avoir à le détourner du mariage qu’on lui propose avec la fille d’Orgon.

18. (1794) Mes idées sur nos auteurs comiques. Molière [posthume] pp. 135-160

La première scène du premier acte, où la vieille mère Pernelle, en grondant toute sa famille, expose si plaisamment et la pièce et le caractère de chacun ; la cinquième, où Orgon s’informe de la santé de Tartufe, et oublie sa femme et ses enfants, malgré les railleries de Dorine ; la sixième sur les faux dévots entre Orgon et Cléante, scène admirablement écrite ; la quatrième du deuxième acte, où les amants se brouillent par un malentendu, et se raccommodent par les soins de Dorine ; la deuxième du troisième acte, où Tartufe s’annonce ; la troisième, où il fait sa déclaration à Elmire ; la sixième, où Orgon lui demande pardon à genoux pour son fils qui l’a accusé ; la cinquième du quatrième acte, où Orgon est sous la table, scène si singulière, si belle et si hardie : voilà les principales beautés d’un ouvrage que l’Europe admire avec raison.

19. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE VII. De l’Exposition. » pp. 139-164

Dans le Tartufe, Moliere ne manque pas de nous apprendre, dès la premiere scene, par la bouche de Madame Pernelle, que l’action se passe chez Elmire, femme d’Orgon. […] Quand Moliere veut nous instruire de toutes les bigoteries que Tartufe a mises en usage pour s’insinuer dans l’esprit d’Orgon, & s’introduire dans sa maison, il les met dans la bouche du crédule Orgon, qui en est la dupe, & les raconte à Cléante qui les ignore. Orgon. […] Orgon, dans la piece de l’Imposteur, doit jouer le rôle d’un homme totalement dupe de la cagoterie de son Tartufe ; aussi, d’après le portrait que Dorine en fait, le spectateur ne peut s’attendre qu’à lui voir ce ridicule.

20. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXI. De la Catastrophe ou du Dénouement. » pp. 503-516

Quand Orgon a reconnu les coquineries de son imposteur, & qu’il le chasse, celui-ci va dénoncer son bienfaiteur, remet au Roi les papiers qu’Orgon a reçus d’un criminel d’Etat, & se charge d’accompagner l’Exempt qui est censé devoir l’arrêter. […] Mille pieces en finissant me laissent inquiet sur le sort de quelque acteur : dans le Tartufe, par exemple, le fils d’Orgon m’a dit dès le premier acte, qu’il est amoureux de la sœur de Valere ; je voudrois bien qu’un mot m’apprît au dénouement si ses feux seront couronnés.

21. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XVII. De l’Art de prévenir les Critiques. » pp. 309-313

Dans le Tartufe, Elmire tente en vain de persuader à Orgon que l’imposteur a voulu la séduire ; le bonhomme n’en veut rien croire : sa femme s’engage à le lui faire voir clairement, & dit à Dorine d’aller appeller le scélérat. […] Après ces quatre vers, adressés tant au spectateur qu’à Orgon, après l’adroite précaution de l’Auteur, le public, qui s’attend à voir les choses les plus hasardées, qui en sent toute la nécessité, prodiguera ses applaudissements précisément aux endroits qu’il auroit critiqués.

22. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE VI. Les Femmes. » pp. 103-120

Quand le fils d’Orgon, outré de tant de scélératesse et emporté par la fougue de son âge, veut tout révéler au père, elle dit : Non, Damis ; il suffit qu’il se rende plus sage, Et tâche à mériter la grâce où je m’engage. […] Et quand le fils terrible a parlé, elle dit encore, pour calmer la colère d’Orgon et éviter un scandale inutile : Oui, je tiens que jamais de tous ces vains propos On ne doit d’un mari traverser le repos ; Que ce n’est point de là que l’honneur peut dépendre, Et qu’il suffit pour nous de savoir nous défendre364. […] Elmire ne dit pas deux mots pendant toutes les invectives de Mme Pernelle et les larmes d’Orgon.

23. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Comment veut-on qu’Orgon en soit dupe ? […] Cet entêtement d’Orgon est admis, consacré. […] Il semble qu’Orgon devrait demander des renseignements plus catégoriques. […] Elle a tenu tête à Orgon, qui est infatué de son Tartuffe. […] Elle a l’esprit plus droit qu’Orgon ; cela est possible, cela est même certain.

24. (1900) Molière pp. -283

Et la grande scène de Tartuffe, entre Elmire et Orgon ! […] Il me semble qu’il l’a peint deux fois, une autre fois et sous une autre forme dans Orgon, du Tartuffe. Il y a entre les personnages d’Argan et d’Orgon un parallélisme qui me frappe : je ne le dis pas seulement parce qu’ils s’appellent du même nom ; Argan, Orgon, c’est la même dénomination à un o ou à un a près. […] Eh bien, Orgon est affolé d’autres faiseurs de grimaces, pourquoi ? […] La France est devenue littéralement, et ce n’est pas le seul moment de son histoire où elle l’ait été, la maison du bonhomme Orgon, et, par les mêmes motifs, c’est Orgon qui règne avec Tartuffe.

25. (1865) Les femmes dans Molière pp. 3-20

Elmire enfin, la belle et froide Elmire était tout à fait la femme qu’il fallait pour rendre possible cette admirable scène v du quatrième acte, où Orgon est sous la table, et pour sauver tout ce qu’elle a de périlleux ; c’est, en un mot, une de ces femmes qu’on estime, qu’on admire même ; mais qui n’excitent pas de bien vives sympathies. […] Avec quelle fine ironie elle répond aux questions d’Orgon, qui, à son retour de la campagne, et au compte qu’elle lui rend de la santé de sa femme, ne trouve rien de mieux que de lui demander à tout moment : et Tartuffe ? […] Et quand à Orgon qui s’écrie : Je vous dis qu’il me faut apprendre d’elle à vivre !

26. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXXV. Du contraste des Caracteres. » pp. 386-397

de ce même Tartufe embrassant Orgon au lieu d’Elmire ? d’Orgon chassé de sa maison par le scélérat qu’il veut en bannir ?

27. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXII. De l’Intérêt. » pp. 385-398

Orgon, ruiné par Tartufe, chassé de chez lui par ce monstre, m’affecte bien plus vivement qu’un amant dédaigné par sa maîtresse. L’Exempt qui fait rentrer Orgon dans tous ses biens, me cause bien plus de joie qu’un messager qui apporteroit la nouvelle d’un heureux mariage.

28. (1865) Les femmes dans la comédie de Molière : deux conférences pp. 5-58

Entêtée de Tartuffe, elle trouve que son fils Orgon n’en est pas assez coiffé, et l’évidence même ne la tirera pas de son erreur. […] Elle est mariée à Orgon qui l’a épousée en secondes noces, et lui a apporté un grand fils et une grande fille. […] Orgon s’en plaint : Pour mon fripon de fils je sais vos complaisances. […] Quelle vénération pour Orgon et quelle douceur ! Si elle aime Valère, c’est de l’aveu d’Orgon qui avait engagé sa parole.

29. (1821) Notices des œuvres de Molière (VI) : Le Tartuffe ; Amphitryon pp. 191-366

Il aurait fallu, suivant La Bruyère, que Tartuffe n’employât pas le jargon de la dévotion, qu’il ne fût pas amoureux d’Elmire, et qu’il ne voulût pas se faire donner tous les biens d’Orgon au détriment des héritiers directs : en d’autres termes, il aurait fallu qu’il ne fût ni odieux ni ridicule, ou du moins qu’il ne le parût pas, ce qui est ici la même chose. […] Tartuffe devait donc jouer si bien son rôle, que tous les personnages de la pièce et le public même fussent dupes de lui aussi bien qu’Orgon ; qu’il fût regardé jusqu’au bout comme un homme sincèrement pieux, et que la comédie finît par le triomphe complet de ses infâmes fourberies. […] Il est vrai qu’Orgon veut donner sa fille en mariage à Tartuffe ; mais Philaminte aussi veut prendre Trissotin pour gendre ; et Trissotin est bien l’abbé Cotin, comme le prouvent le sonnet et le madrigal tirés des œuvres mêmes de cet auteur, et la fameuse scène copiée d’après une dispute qu’il avait eue avec Ménage. […] Pendant ces beaux discours, Orgon, sous une table, Incrédule toujours, pour être convaincu, Semble attendre en repos qu’on le fasse cocu : Il se détrompe enfin, et comprend sa disgrâce, Déteste le Tartuffe, et pour jamais le chasse.

30. (1852) Légendes françaises : Molière pp. 6-180

Déjà quelques honnêtes gens effrayés à leurs cris, aveuglés comme Orgon, séduits par la cabale, tournaient contre Molière. […] Aussi se contentera-t-il de nous montrer Tartuffe s’impatronisant dans la famille d’Orgon, ayant ses relations depuis l’huissier jusqu’au trône ; mais d’où vient-il ? […] Molière écrivit pour lui le rôle d’Orgon : il avait été sauvé par le roi de l’imposture de Montfleury, il sauva Orgon de la même manière des manœuvres de Tartuffe. […] Elmire ferait-elle voir à Orgon ? […] » Mais voici bien plus : au dernier acte, l’exempt, par ordre du roi, emmène Tartuffe en prison, alors Orgon s’écrie : Eh bien !

31. (1919) Molière (Histoire de la littérature française classique (1515-1830), t. II, chap. IV) pp. 382-454

Mais que fait-on des autres personnages, et en particulier d’Orgon, qui, sans doute, a bien son importance, puisque ce n’était pas, pour le dire en passant, le personnage de Tartufe, mais celui d’Orgon, que Molière interprétait dans sa pièce, comme il faisait Arnolphe dans l’Ecole des Femmes, Alceste dans le Misanthrope, et Harpagon dans l’Avare ? Et, en effet, autant que sur Tartufe, c’est sur Orgon que roule toute la pièce ; c’est lui qui tient la scène depuis le premier jusqu’au dernier acte, tandis que Tartufe ne paraît qu’au troisième ; et c’est à lui, par conséquent, si l’on y veut voir clair, qu’il faut demander, autant qu’à Tartufe, le secret de Molière. Or ce n’est point du tout un imbécile qu’Orgon, et Dorine, dès le premier acte, a pris grand soin de nous en avertir. […] Qu’est-ce à dire, — car Orgon est sincère, car pas un instant on ne nous l’a présenté sous les traits d’un malhonnête homme, et encore moins d’un hypocrite — qu’est-ce à dire, sinon qu’autant il fait de progrès dans la dévotion, autant il en fait vers l’inhumanité ? […] Aussi bien, s’il avait vraiment voulu mettre son Tartufe à l’abri des interprétations malveillantes, je n’aurai pas l’impertinence de dire comment il eût dû s’y prendre ; mais ce n’est pas Cléante qu’il eût choisi pour porter en son nom la parole, c’est Elmire, c’est la femme d’Orgon, dont il eût opposé la dévotion traitable et sincère, à la dévotion, sincère aussi, de son benêt de mari.

32. (1802) Études sur Molière pp. -355

Orgon a la crédulité d’une dévotion peu éclairée ; et madame Pernelle, tous les ridicules d’une vieille dévote. […] Premièrement, louez-le, dans votre journal, d’avoir laissé percer un instant sur son visage, aux yeux des spectateurs, la joie qu’il éprouve lorsqu’Orgon donne sa malédiction à son fils. […] oui ; elle s’est donné tant de peine pour tousser, elle a tant frappé à coups redoublés sur la table qui cache Orgon ! […] Peut-être l’acteur a-t-il lu ce que dit Bret, à propos de la table sous laquelle Orgon se cache : Tartuffe avait déjà été découvert pour ce qu’il est par un homme caché, au troisième acte ; Molière se sert ici du même moyen à peu près, l’imbécillité d’Orgon est la seule excuse de cette répétition. […] Orgon, prévenu, entêté pour tout ce qui a rapport à Tartuffe, n’est rien moins qu’imbécile, avec sa femme, ses enfants ; il n’a même pas avec eux un seul instant de faiblesse : tout au contraire !

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