Mais dès ce second essai de grande comédie il avait révélé, par plusieurs scènes, son habileté à peindre les mœurs et la passion. Lié dès lors et comme enlacé à la vie de théâtre par ses goûts d’acteur, par ses succès d’auteur, et aussi, il faut bien l’avouer, par ses faiblesses d’homme, il comprit enfin que la tâche unique d’amuser ses contemporains était un rôle vulgaire, que la scène où il était monté devait être élevée et épurée, et qu’elle pouvait devenir une école pour réformer les travers de l’esprit et les vices du cœur, ou, tout au moins, pour les déconcerter par le ridicule. […] Ce chef-d’œuvre de la scène comique est-il un attentat contre la piété ou un acte loyal de bon sens, de courage, de prudence sociale, accompli avec génie ? […] Qu’on ne croie point, par exemple, que Le Bourgeois gentilhomme soit une protestation contre l’anoblissement de la roture, contre la marche ascendante du tiers état, ni contre l’aristocratie elle-même ; en traduisant sur la scène un bourgeois ridicule et un marquis dépravé, il signale un double abus : l’avilissement des titres dans ceux qui les portent ; le ridicule d’y prétendre quand on n’y est pas né. […] Il ne faut pas demander à la comédie ce qui n’est point de son ressort et suivre dans leurs scrupules exagérés ces rigoureux censeurs qui, appliquant au théâtre des principes d’un autre ordre, s’alarment des peintures hardies de la scène et de quelques saillies d’humeur gauloise qui sont les privilèges du genre.
Ces ressorts aident le poète à hâter sans invraisemblance la liaison des cœurs qu’il est obligé d’unir en quelques scènes ; et pourtant, ce court espace lui suffit aussi.pour montrer que l’amour vrai est l’amour des âmes, faites par Dieu avec le tendre et noble penchant de se donner tout entières à des âmes dignes d’elles. […] Il est beau d’avoir conçu cette idée élevée d’un sentiment qui peut tomber si bas ; il est bien d’avoir exprimé que ce sentiment est une passion de l’âme, non un appétit du corps ; il est glorieux d’avoir montré sur la scène, dans des situations souvent délicates, le caractère chaste et spiritualiste de l’amour, quand tant d’auteurs ont cherché et cherchent encore le succès dans son étalage tout matériel, quand tant de critiques se prosternent devant la peinture corruptrice de ce qu’ils appellent l’amour physique. […] Molière était obligé d’en demeurer aux termes de la comédie, et l’art même lui défendait de mettre sur la scène autre chose que les lettres de Célimène et les avances mielleuses d’Arsinoé 470 ; mais pourtant, quand il montre la jeune coquette refusant d’aller ensevelir dans un désert ses fautes et son repentir471, il laisse deviner la vie qu’elle mènera dans v le monde : Peut-être avant deux ans,...... […] Dans le Misanthrope, les grandes scènes des actes 111 et V peuvent contenir quelque chose de personnel à Molière, qui faisait Alceste, tandis que sa femme, qu’il ne voyait plus qu’au théâtre, jouait Célimène. […] — Mais c’est erreur que d’attacher trop d’importance à ces considérations, car la fameuse scène de jalousie du Misanthrope (act.
Et peut-on résister au comique victorieux de la scène où Amphitryon, mis à la porte de chez lui par Mercure-Sosie, apprend de la bouche du dieu-valet que, dans le moment même, l’autre Amphitryon Est auprès de la belle Alcmène 594 ? […] Plaute était excusable de mettre sur la scène une des légendes monstrueuses des divinités à qui l’on croyait de son temps ; cela ne tirait pas à conséquence : le spectateur païen adorait l’honneur fait à Amphitryon et la divine naissance d’Hercule sans que son respect fût diminué pour Junon, protectrice de la foi conjugale. […] Autant on a approuvé les paroles hardies, mais convenables, qui effarouchaient les spectatrices précieuses de l’École des Femmes 611 ; autant on approuvera même la gaillardise, peu conforme au caractère de Dorine, mais nécessaire pour répondre à l’hypocrite lubricité de Tartuffe 612 : autant on condamnera sans rémission les plaisanteries grossières dont Molière a quelquefois sali d’excellentes scènes, entraîné par le désir de soulever le gros rire populaire613. […] avec cette différence que la scène de l’École des Femmes est toute morale, puisqu’Arnolphe n’a que ce qu’il mérite. […] Molière fait allusion à ces hésitations entre les deux maîtresses et à ce retour vers la première dans la première entrée de Ballet du troisième intermède, où se trouve une petite scène intitulée Dépit amoureux, qui consiste uniquement dans la traduction gracieuse de l’ode d’Horace : Donec gratus eram tibi (Lib.
Scène ajoutée au Boulevard Bonne-Nouvelle, pour l’anniversaire de la naissance de Molière Personnages. […] Que de scènes nous voyons Dans notre Angleterre ; Celle des élections Et du ministère.
Comment être fixé avec un auteur qui se borne à prendre des personnages dans le monde et à les transporter sur la scène, qui nous montre leurs sentiments à eux, qui nous donne leur langage à eux, en un mot, qui nous représente leur vie à eux, sans qu’elle ait jamais une ressemblance véritable avec la sienne ? […] Ce sera Voltaire, qui multipliera son action philosophique de toutes les manières, sous toutes les formes, qui la portera jusque sur la scène, mais aussi dont le théâtre ne vivra pas, dont le théâtre est mort. […] Et tenez, si vous voulez le connaître, le voilà qui vient d’entrer en scène. […] Molière, permettez-moi cette expression un peu trop récente, est un grand artiste ; il ne connaît ni les petits moyens ni les procédés vulgaires ; il jette sur la scène des caractères, et ce sont ces caractères qui s’expliqueront eux-mêmes devant vous. […] Je m’arrêterai seulement sur la scène capitale du Ve acte, qui termine la comédie et qui la résume.
Quelles obligations notre Scène comique ne lui a-t-elle pas ? […] Ses Pièces représentées sur tant de théâtres, traduites en tant de langues, le feront admirer autant de siècles que la Scène durera. […] Molière faisait Sancho : et comme il devait paraître sur le Théâtre monté sur un Âne, il se mit dans la coulisse pour être prêt à entrer dans le moment que la Scène le demanderait. […] Je travaille présentement sur un caractère, où j’ai besoin de telles scènes, faites-les, vous m’obligerez, et je me ferai honneur d’avouer un secours comme le vôtre. […] Il déclama quelques Scènes détachées, sérieuses et comiques devant Molière, qui fut surpris de l’art avec lequel ce jeune homme faisait sentir les endroits touchants.
C’est ainsi que Marivaux écrivant des comédies, faisait encore des romans, et que Lesage écrivant des romans, faisait encore des comédies ; car, ce n’est pas seulement la facilité de combiner des scènes et de développer une intrigue qui constitue l’auteur comique, c’est l’art de saisir les caractères, d’observer les mœurs, et d’en présenter un tableau dramatique et fidèle. […] Nanine paraît sur la scène, et ce n’est plus un jeune seigneur perdu de mœurs, c’est un sage qui se mésallie. […] Et d’ailleurs, les êtres ridicules ou vicieux que Molière a traduits sur la scène, sont encore au milieu de nous.
« Oui, en effet, elle se souvient, ainsi vaincue par une force irrésistible, de ses jours tout-puissants de triomphe et de victoire ; elle se souvient de l’enthousiasme universel, elle se souvient de ses créations splendides, quand elle faisait, de rien quelque chose : une comédie d’un vaudeville, un membre de l’Institut de quelque faiseur de mauvais vers ; elle se souvient de la joie, de la bonne humeur, de l’applaudissement du parterre ; elle se rappelle tous les triomphes entassés là, à ses pieds : ce théâtre glorifié, cette scène agrandie, et les vrais Dieux venant au-devant d’elle, les mains chargées de couronnes. […] De là, grand tapage dans les entractes, bruyantes clameurs, interjections puissantes, restes éloquents du déjeuner solennel ; mais, une fois l’actrice en scène, pas un souffle. […] « Il y avait, à ce qu’on rapporte, sur cette même scène française, un grand comédien nommé Baron, que Molière avait élevé lui-même.
Voilà l’entrée en scène du prince de nos moralistes. […] Ceux qui ont mis le pied dans une salle de spectacle peuvent dire si la scène a cessé d’être un marché d’esclaves. […] Nous ne pensons pas que les ingénus qui lui attribuent le dessein d’avoir voulu moraliser la scène en soient bien persuadés. […] Les commentateurs s’extasient sur cette scène étonnante. […] Contrepartie de la scène d’Oronte, aussi comique pour le moins !
La mise en scène, comme on voit, devait offrir de grandes difficultés ; elle exigeait des masques bien étranges, même à côté des masques fantastiques de la comédie italienne. […] Andreini s’écriait en terminant son Théâtre céleste : « Scène trompeuse, je pars !
Cette opinion est d’autant plus facile à justifier, que les principales scènes de l’ouvrage français se trouvent dans la comédie de Plaute. […] À l’exception du dénoûment, qui est une nécessité, il n’y a pas une scène qui ne s’accorde avec les idées communes.
On dirait que Molière a transporté sur la scène et mis en action les attaques et les plaisanteries de ce jésuite contre le doute provisoire de Descartes. […] … La chute en est jolie, amoureuse, admirable… Je n’ai jamais oui de vers si bien tournés… Est-ce à raison que, dans la scène de la médisance, Philinte prend le parti de Célimène contre Alceste ? […] Misanthrope , acte II, scène V.
Ensuite il fit Le Dépit amoureux, qui valait beaucoup moins que la première, mais qui réussit toutefois à cause d’une Scène qui plut à tout le monde et qui fut vue comme un tableau naturellement représenté de certains dépits qui prennent souvent à ceux qui s’aiment le mieux. […] Je ne vous en entretiendrai pas davantage et je me contenterai de vous faire savoir que vous en apprendrez beaucoup plus que je ne vous en pourrais dire, si vous voulez prendre la peine de lire la Prose que vous trouverez dans l’imprimé au-dessus de chaque Scène. […] Mais, pour vous en dire mon sentiment, c’est le sujet le plus mal conduit qui fût jamais et je suis prêt de soutenir qu’il n’y a point de Scène où l’on ne puisse faire voir une infinité de fautes.
Donc Bossuet, dans sa suprême sévérité, a eu l’esprit plein des dangers et des hontes de la vie de comédien, le cœur soulevé par les grossièretés étalées sur la scène de l’époque, l’indignation surexcitée par l’encouragement donné aux plaisirs de Louis XIV. […] Il pense à tout ce qu’une scène habile, sans prétention à l’enseignement moral, mais du moins sans immoralité, peut offrir d’utilité pour la société. […] I, note 36. — À moins d’être un habitué, il était impossible de ne pas confondre les deux troupes ; et les pièces des Italiens étaient aussi plates et aussi grossières que celles de Boursault, voir le Théâtre italien, ou le Recueil de toutes les scènes françaises qui ont été jouées sur le Théâtre italien, Genève, 1695. […] Le Médecin volant, le Portrait du Peintre, la Satire des Satires, les Mots à la mode, de Boursault, les Scènes de la Fille savante, de la Cause des Femmes, etc., des Italiens, ne sont que de détestables et graveleux pastiches de Molière, qui d’ailleurs, ne pouvant pas jouer uniquement son répertoire, prêtait son talent d’acteur aux plus mauvaises pièces, en sorte qu’un contemporain non assidu au théâtre attribuait tout à Molière.
Ce n’est point là Molière ; il a eu des Scènes à la Cour : pourquoi ne pas nous en faire part ? […] On voit les égards qu’il avait pour les Personnes élevées, dans la Scène du Courtisan extravagant. […] Mais il y a des règles pour les conduire, selon les parties qui composent la Pièce, selon les passions qui y règnent, selon les figures qui l’embellissent, selon les personnages qu’on introduit sur la Scène. […] Pour réciter cette action il faut avoir la voix grave, noble, sublime ; et prononcer d’un ton proportionné à l’élévation des personnes qu’on met sur la Scène, et aux passions que l’on représente, ou que l’on veut inspirer. […] Si elle ne l’est pas, c’eût été le calomnier, Mais la belle morale que mon Censeur débite à cette occasion, est inutile pour moi ; car je lui déclare que je ne connais point son Provençal, et que les rares qualités qu’il lui donne me le font encore plus méconnaître ; car je m’en rapporte beaucoup plus au jugement de Molière, qui était Connaisseur, qu’à tout ce que le Censeur nous dit de son Héros ; et pour lui faire voir que je n’y entends point finesse, qu’il le nomme, je veux bien être chargé de la confusion de l’avoir mis sur la Scène dans la Vie de Molière, supposé que je n’aie pas rapporté la vérité.
On.admire, sans trouver de termes pour la louer, cette scène étonnante, où, avec une vérité crue et une hardiesse sans exemple, sont placés face à face le vice et la vertu, dans une situation si critique, qu’il fallait toute l’audace du génie pour l’aborder. […] Après tant de vérité, tant de principes excellents, tant de grâce et de bon sens apporté dans la peinture de la femme, il serait trop rigoureux de reprocher à Molière d’avoir introduit sur la scène quelques femmes d’intrigue, comme Nérine ou Frosine 398 ; sans doute, le moraliste doit être aussi sévère pour elles que pour les Mascarilles et les Scapins 399 : mais elles sont plus que compensées par ces bonnes et fidèles servantes comme Nicole, Martine, Toinette, qui ne connaissent de famille ni d’affection que leurs maîtres, et qui sont, avec toute leur rusticité, des modèles de bon sens et de dévouement400. […] Si de nos jours des auteurs plus hardis qu’heureux ont tenté de nous intéresser à des courtisanes héroïques, le succès a trompé leur attente ; et s’ils ont su plaire quelquefois, ce n’est que par l’introduction de vertus impossibles dans des caractères faux, inacceptables à la scène parce qu’ils sont inconnus dans la réalité.
La Critique de l’École des femmes, scène viii.
[79, p. 121] « Pourceaugnac est une farce, a dit Voltaire ; mais il y a dans toutes les farces de Molière des scènes dignes de la hautes comédie (I) ».
Présentez-lui des pièces telles que Figaro, les Femmes, Heureusement ; étalez à ses yeux les scènes les plus licencieuses, les images les plus indécentes, pourvu qu’elles paraissent voilées d’une gaze légère et transparente, elle n’en sera point effarouchée ; mais prononcez devant elle un mot trop nu, quoique innocent, vous la ferez crier au scandale, à l’horreur. […] Ce trait (ainsi que quelques autres) ne saurait atteindre les grands talents, ornements de la scène française ; et, pour ne parler que de la comédie, si Molière lui-même y voyait représenter certains ouvrages qu’il n’a pu que lire sur les tristes bords du Léthé, ne ferait-il point grâce à Marivaux et à Lanoue en faveur de leurs interprètes ?
Le goût avait déjà distribué aux arts, aux sciences, à la chaire, au barreau, à l’histoire, à la morale, à la poésie, à la scène comique, à la scène tragique, le ton, le style convenables à chacune de ces parties.