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136. (1663) Nouvelles nouvelles pp. 210-243

[Abrégé de l’abrégé de la vie de Molière] Lorsque Clorante eut cessé de parler, je lui dis que j’avais pris plaisir à l’entendre, et surtout lorsqu’il avait parlé de la Comédie et de l’Auteur qui ne faisait réussir ses Pièces que par ressorts et par brigues, et qui croyait qu’elles étaient bonnes lorsqu’il y pouvait entraîner bien du monde. […] Mais comme il peut passer pour le Térence de notre Siècle, qu’il est grand Auteur et grand Comédien lorsqu’il joue ses Pièces, et que ceux qui ont excellé dans ces deux choses ont toujours eu place en l’histoire, je puis bien vous faire ici un abrégé de l’abrégé de sa vie et vous entretenir de celui dont l’on s’entretient presque dans toute l’Europe, et qui fait si souvent retourner à l’École tout ce qu’il y a de gens d’esprit à Paris. […] Notre Auteur, après avoir fait ces deux Pièces, reçut des mémoires en telle confusion que, de ceux qui lui restaient et de ceux qu’il recevait tous les jours, il en aurait eu de quoi travailler toute sa vie, s’il ne se fût avisé, pour satisfaire les gens de qualité et pour les railler ainsi qu’ils le souhaitaient, de faire une Pièce où il pût mettre quantité de leurs Portraits.

137. (1818) Épître à Molière pp. 6-18

Aimant à s’égayer par d’utiles loisirs, Louis, qui te devait ses plus nobles plaisirs, Dont l’appui protecteur faisant taire l’envie, Contre elle, tant de fois, a défendu ta vie ; Cet esprit éclairé, ce brillant potentat Qui de l’éclat des arts a reçu tant d’éclat 1; Qui soutint si longtemps le Tartuffe et Molière ; De son siècle, avec peine, obtint qu’un peu de terre Couvrirait par pitié l’honneur du nom français. […] Quelquefois, il est vrai, ton austère férule En passant près de lui frappa le ridicule, Dont la vie éphémère, en son obscurité, Eût échappé, sans elle, à la postérité : Mais plus souvent, aussi, ta généreuse audace Brave le vice altier, l’attaque et le terrasse, Et, marchant droit au but, sans le laisser en paix, Torture le méchant qui ne change jamais. […] Les tribunes des deux Chambres ont retenti des accents généreux des défenseurs de nos franchises ; de ces hommes qui préfèrent l’honneur aux honneurs,1a patrie à leur fortune, la liberté à tout : ils ont disputé pied à pied, au pouvoir, la plus sacrée de nos propriétés, le domaine de la pensée ; et la liberté de la presse, sans laquelle la pensée n’a qu’une vie éphémère.

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