On peut croire que l’animosité de Molière contre la tragédie, telle qu’elle se marque dans la Critique de l’École des femmes, est un ressentiment de Molière contre l’échec de Don Garcie de Navarre, et que Molière a dit, plus ou moins consciemment : « J’ai échoué dans la tragédie ; mais la comédie est beaucoup plus difficile que la tragédie et je suis l’homme qui échoue dans un genre inférieur parce qu’il est habitué à un genre plus relevé. » C’est ainsi qu’on calme une rancune et surtout qu’on la manifeste. […] Par elle-même la comédie n’aime pas les grands sujets, donne peu dans l’extraordinaire, est forcée, même fantaisiste, de tenir compte du vrai plus que la tragédie. […] Dès 1659, Thomas Corneille écrit à l’abbé de Pure avec une satisfaction visible que les Comédiens de Monsieur ont mal joué une certaine tragédie de M. de la Clairière et qu’il ne les croit capables que de jouer de pareilles bagatelles. […] Songez qu’il joue Corneille, Corneille, un peu affaibli, et que par ce lait le public prend l’habitude de considérer la comédie comme ayant une aussi haute valeur dramatique que la tragédie, ce qui est une idée toute nouvelle. […] Comédie, en soi, à la même hauteur que la tragédie, en fait très supérieure parce qu’elle est plus difficile à faire, voilà : le premier point de la poétique de Molière.
L’Italie et l’Espagne, qui donnèrent longtemps des lois à notre théâtre, durent avoir sur la comédie la même influence que sur la tragédie. […] On a reproché à Molière quelques dénouements semblables : c’est un défaut, sans doute, et il faut tâcher de l’éviter; mais je crois cette partie bien moins importante dans la comédie que dans la tragédie. […] Le grand Racine, alors à son aurore, lui lut une tragédie : Molière ne la trouva pas bonne, et elle ne l’était pas; mais il exhorta l’auteur à en faire une autre, et lui fit un présent. C’était mieux voir que Corneille, qui exhorta Racine à faire des comédies et à quitter la tragédie.