Un Auteur doit s’appliquer à prouver au spectateur que la ressemblance qu’il va mettre en jeu pour l’amuser, peut être possible. […] J’entends dire depuis long-temps qu’il y auroit une façon très simple d’admettre deux personnages tout-à-fait ressemblants dans une piece, sans blesser les yeux du spectateur ; & l’expédient divin qu’on voudroit employer pour cela, seroit de faire représenter les deux rôles par le même acteur. […] Le spectateur crut toujours voir le même personnage qui s’étoit mis en habit de voyage pour regagner sa province ; on ne suivit plus l’intrigue, & la piece tomba. […] Mais quand les Italiens ne mettent pas la ressemblance sur le compte de leurs personnages masqués, leurs pieces ont le même défaut, la même invraisemblance que les Françoises, & leurs spectateurs ont autant besoin de bonne volonté que les nôtres pour se prêter à la fiction. […] On conçoit aisément que le spectateur voyant Lélio & Mario l’un à côté de l’autre, & pouvant comparer leurs traits, leur taille, il lui est très difficile de les trouver ressemblants, au point surtout de faire méprendre un pere & une sœur.
On peut sans crainte jouer devant n’importe quels spectateurs n’importe laquelle de ses comédies : gens du commun et gens du monde, ignorants et lettrés, collégiens et hommes mûrs, tous, dès le rideau levé, sont pris, conquis aussitôt jusqu’au moment prochain où un éclat de rire général fait résonner la salle, de l’orchestre à l’amphithéâtre. […] Je ne m’attacherai qu’à celles qui intéressent particulièrement notre objet, c’est-à-dire à celles qui sont susceptibles d’agir efficacement sur la foule des spectateurs, d’influencer les impressions de ces juges souverains, peu raffinés sans doute, mais de sage jugement, qui constituent le gros public. […] Il n’est pas seulement auteur ; il est acteur, homme de théâtre ; il sait ce qui convient au spectateur, ce qui porte sur lui. […] C’est que, par l’effet d’un grossissement habile, par un art qui n’a jamais été égalé de trouver et d’exprimer les traits significatifs d’un caractère, Molière en impose au spectateur la représentation définitive, en quelque sorte symbolique. […] Quelqu’ignorant qu’il puisse être de ces allusions, de ces emprunts à des faits personnels, le spectateur est pénétré de la chaleur, de l’émotion, et pour tout dire, de la vie qu’ils font circuler dans l’âme des personnages, dans leurs sentiments et dans leur langage.