À cette époque, quelques dames, illustres autant par l’esprit que par la naissance, puisèrent dans la société des hommes éminents et lettrés qui les entouraient, un amour de la science, un soin des lettres, un purisme de langage, qui n’étaient certes qu’une qualité de plus ajoutée à tant d’autres dans une marquise de Rambouillet, trônant par la souveraineté du goût, de la beauté et de la conversation, au milieu d’une cour où se pressaient Richelieu, Vaugelas, Racan, Balzac, Voiture, Corneille, Patru, Saint-Evremond, Montausier, où vieillissait Malherbe et débutait Bossuet, entre Julie d’Angennes, Mme de Longueville, Mlle de Coligny, Mme de La Fayette et Mme de Sévigné. […] Non content d’opposer aux habitudes des femmes du temps les mœurs trop simples des femmes du bon vieux temps 310 ; non content de mettre en action les ridicules d’une académie précieuse pendant un acte entier qu’ils remplissent uniquement311, Molière voulut faire briller l’exemple à côté de la critique, et exprimer ce que doit être la femme du monde dans une société polie. […] Aussi Rœderer, dans son Histoire de la Société polie, qu’il confond avec la société précieuse, trouve-t-il celle pièce immorale.
Cet effacement des individus devant le roi ou la nation pouvait être un bien dans la société ; mais au théâtre il faut des caractères plus tranchés, des physionomies plus accentuées. […] Que ses portraits, image fidèle et précieuse de la société du temps, soient des chefs-d’œuvre de vérité et de vie, nul ne le conteste ; mais qui a jamais songé à comparer les beaux portraits que Rigaud peignait à la même époque aux toiles inspirées de Lesueur et de Poussin ? […] Dans cet enfantement laborieux et sanglant de la société moderne, que d’œuvres puissantes, éternelle méditation des âges suivans ! […] La société y a gagné peut-être, ce n’est pas ici le lieu de discuter ce point ; mais, quand la pensée se calme, elle est bien près de s’endormir : elle ne se réveillera en effet que dans le siècle suivant, quand des passions nouvelles viendront la ranimer, et qu’à une époque stationnaire succédera une époque vivante et agitée, celle de Montesquieu, de Voltaire et de Rousseau.