Car, deux siècles tantôt passés ont bien pu nous conquérir toutes les libertés : les nécessaires, les superflues, et même les dangereuses ; ils ne nous ont pas encore donné le droit de penser sur Molière comme nous voudrions, et de le dire comme nous le penserions. […] Nous ne savons pas si, comme le voulait un commentateur de l’avant-dernier siècle, les Pocquelin descendaient d’un noble écossais ; ou plutôt cette généalogie fabuleuse, qu’on ne peut étayer d’aucune preuve, ressemble fort à la généalogie des Colbert. […] Tout au plus est-il per mis de dire que les prêtres de Saint-Eustache, qui, depuis un siècle et plus, se plaignaient des comédiens de l’hôtel de Bourgogne, leurs voisins, saisirent plus volontiers que les prêtres d’une autre paroisse le prétexte qui s’offrait de leur témoigner leur hostilité. […] On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait, si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. »Aussi bien a-t-il peint les « gens de son siècle », comme ils n’ont jamais été peints sur notre théâtre. […] Etait-ce là, comme on l’a dit, « l’un des fléaux du siècle » ?
Une critique fine et délicate des mœurs et des ridicules qui étaient particuliers à son siècle lui parut être l’objet essentiel de la bonne comédie. […] Je dirai d’abord que si son esprit ne l’avait pas rendu un des plus illustres du siècle, je serais ridicule de vous en entretenir aussi longtemps et aussi sérieusement que je vais faire, et que je mériterais d’être raillé : mais comme il peut passer pour le Térence de notre siècle, qu’il est grand auteur et grand comédien lorsqu’il joue ses pièces, et que ceux qui ont excellé dans ces deux choses ont eu place en l’histoire, je puis bien vous faire ici un abrégé de sa vie et vous entretenir de celui dont l’on s’entretient presque dans toute l’Europe, et qui fait si souvent retourner à l’école1 tout ce qu’il y a de gens d’esprit à Paris. […] Il connut par là les goûts du siècle ; il vit qu’il était malade, et que les bonnes choses ne lui plaisaient pas. […] Cet auteur était ennemi secret des grands hommes de son siècle, et jamais il n’a parlé de Molière, de MM.