/ 180
17. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Conclusion » pp. 355-370

Il y a, à la vérité, un signe où elle reconnaît les grands hommes, et il n’est peut-être pas bien exact de dire que tous les objets soient égaux devant l’indifférence de sa curiosité ; Molière est mille fois plus intéressant à ses yeux que Cyrano de Bergerac, Pradon ou Boursault : « Plus un poète est parfait, dit-elle, plus il est national ; plus il pénètre dans son art, plus il a pénétré dans le génie de son siècle et de sa race ; la hauteur de l’arbre indique la profondeur des racines466. » Quoi qu’il en soit, l’école historique, je dis l’école historique idéale, à la considérer dans l’unité et la pureté de sa doctrine, annule la critique littéraire au sens où le langage a toujours entendu le mot de critique, puisqu’elle ne juge pas, ne blâme ni ne loue. […] Mais cet avantage que Goethe perd un moment, il le retrouve le moment d’après, quand, par exemple, la lecture d’un chœur de Sophocle ou d’une ode de Pindare fait couler à longs traits dans tous ses sens et dans son âme une émotion, une félicité, que jamais ne goûta madame de Staël. Quand j’écoute avec ravissement une mélodie italienne, et que vous, mon cher lecteur, vous haussez légèrement les épaules avec une expression de quasi-mépris sur les lèvres, je vous plains, et en fait je suis plus favorisé que vous, puisqu’à ce moment-là j’ai un sens qui vous manque.

18. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE IX. De l’Adultère et des Amours faciles. » pp. 166-192

Et quand on entend bergers et bergères, imités dans leurs danses luxurieuses par « trois petites Dryades et trois petits Faunes, » s’écrier ensemble : Jouissons, jouissons des plaisirs innocents Dont les feux de l’Amour savent charmer nos sens 644, n’est-il pas tout naturel qu’en sortant du spectacle on aille faire comme eux645 ? […]   Quand on réfléchit de sens froid au suprême intérêt de la moralité des peuples et des rois, au désastre de leur immoralité, on comprend que Platon eût chassé Molière de sa république656 ; on comprend que Bossuet l’ait anathématisé. […]   Mais de quels mouvements dans son cœur excités   Sentira-t-elle alors tous ses sens agités ! […] Dispositions dangereuses et imperceptibles ; la concupiscence répandue dans tous les sens : « Il y a des choses qui, sans avoir des effets marqués, mettent dans les âmes de secrètes dispositions très-mauvaises, quoique leur malignité ne se déclare pas toujours d’abord. Tout ce qui nourrit les passions est de ce genre… Qui sauroit reconnoître ce que c’est en l’homme qu’un certain fonds de joie sensuelle, et je ne sais quelle disposition inquiète et vague au plaisir des sens qui ne tend à rien et qui tend à tout, connoîtroit la source secrète des plus grands péchés… Le spectacle saisit les yeux : les tendres discours, les chants passionnés, pénètrent le cœur par les oreilles.

/ 180