La comédie latine, avec ses belles esclaves qu’on achète, se trouve là : Molière s’en servira encore plus d’une fois. […] Ce Sganarelle se trouverait dans l’exacte position de George Dandin. […] Il fuyait la cour de Saint-Germain, afin de se trouver avec elle dans cette solitude. […] Deux des plus délicieux caractères de femmes que Molière ait dépeints se trouvent dans cette comédie. […] Toutes les qualités qu’un honnête homme souhaite de rencontrer dans la femme qu’il épouse se trouvent réunies en effet chez cette belle, sage et spirituelle personne.
Molière, comédien, atteignit mieux que le plus puissant théoricien ce milieu des prolétaires et des femmes qui, « pour être peu apte aux inductions générales et aux déductions fort prolongées, est d’ordinaire mieux disposé à sentir cette combinaison de la réalité avec l’utilité qui caractérise la positivité », ce milieu dont l’esprit se trouve naturellement disposé à la saine philosophie qui exige une attention désintéressée, sans indifférence. […] Ici, le grand poète, obéissant à son désir de peindre, de mettre en scène les hommes et les femmes livrés aux épreuves de la vie, aux luttes de conscience, et de faire sortir de leur exemple des leçons pour l’Humanité, se trouve réaliser instinctivement la haute pensée que des moralistes, comme Adam Smith, des philosophes, comme Comte, conçurent de nos jours à l’état abstrait. […] Ils ne nous sont nullement suspects de pédantisme ; et, en effet, ne se trouvent-ils pas là nécessairement, comme dans la vie ? […] Par malheur, il se trouve avoir auprès de lui deux personnes auxquelles il « n’en imposera » jamais : sa bonne bourgeoise de femme, et sa mâtine de servante, Nicole. […] Il savait bien que la pure vertu n’est pas de ce monde, le poète qui, dans la préface du Tartuffe, écrivit : « Je ne sais s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et à adoucir les passions des hommes que de vouloir les retrancher entièrement. » Molière souffrait de cette nécessité d’accommoder avec la médiocrité humaine cette pensée pure qui se trouve chez les meilleurs d’entre nous et les emporte vers le juste, le beau, le vrai.