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114. (1863) Molière et la comédie italienne « Textes et documents » pp. 353-376

La dernière scène du Vecchio geloso revient sur l’aventure dont Pantalon a été la victime, et en tire le dénouement par un moyen des plus singuliers et des plus hardis : « Pasqualina fuggendo da Gratiano il quai la vuole abbracciare, Burattino si pone in mezzo ; Pasqualina racconta come Gratiano gli ha tolto l’honore per forza ; Gratiano si scusa con dir’ d’esser stato tradito e che non puo parlare per all’hora, ma che ne fara vendetta. […] La scène se passe à Constantinople. […] Le premier est composé en l’honneur de Saint-Genest, qui devait bientôt être plus dignement célébré par la tragi-comédie de Rotrou : « Tandis que Genest, sur la scène antique, mêle à la cythare d’or les accents des théâtres d’Orphée, les hommes attentifs semblent de marbre, et toutes les sirènes se taisent comme endormies. […] Tout dans le début était infernal ; tout est divin dans le dénouement. » Le second sonnet est adressé à Saint-Sylvain, autre comédien converti : « Scènes, quittez vos antiques honneurs !

115. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE III. L’Honnête Homme. » pp. 42-64

Enfin, surtout, il a tort, et ses travers, jusqu’ici excusables, nobles, héroïques même143, deviennent une faute véritable quand, pour tous les ridicules, tous les vices qu’il voit autour de lui, il conçoit contre l’humanité cette haine violente qu’il ne cesse d’exprimer depuis la première scène jusqu’à la dernière : Tous les hommes me sont à tel point odieux Que je serois fâché d’être sage à leurs yeux. […] Il n’y a pas une de ses pièces où ce défaut ne soit mis en scène : « C’est l’amour propre qui a engendré les précieuses affectant un jargon inintelligible, et les savantes engouées de sciences qu’elles ne comprennent pas ; les pédants si orgueilleux de leur érudition indigeste, et les beaux esprits si vains de leurs fadaises rimées ; le manant qui épouse la fille d’un gentilhomme, et le bourgeois qui aspire à passer pour gentilhomme lui-même ; les prudes qui affichent une sévérité outrée, et les coquettes qui étalent les conquêtes faites par leurs charmes ; les marquis qui se vantent des dons de la nature, des bontés du roi et des faveurs des dames ; et ce misanthrope lui-même dont il faut estimer la vertu, mais dont l’orgueil bourru fronde la vanité de tous les autres154. » Si l’amour propre est le défaut le plus universel, il n’est pas le seul qui règne dans la bonne société : Molière a frappé avec non moins d’autorité sur l’habitude qu’ont les gens riches ou inoccupés, de médire sans cesse du prochain, et de trouver à blâmer partout155. […] Ne réclamait-il pas, avec toute la force du fou rire rabelaisien, mais avec plus d’autorité que Rabelais193, la rénovation de la philosophie, et ne sonnait-il pas194 aux oreilles des savants la nécessité du bon sens, de l’observation195 et de la modestie, dans les scènes de la Jalousie du Barbouillé et du Mariage forcé 196, qu’on doit conserver dans les archives de l’histoire de la science à côté de l’Arrêt burlesque de Boileau ?  […] La cruelle, horrible exactitude de la satire contre les docteurs qui causent de leurs petites affaires pendant que le malade agonise201 ; contre ceux qui laissent mourir le malade pour régler entre eux une querelle de préséance202 ; contre ceux qui, après avoir saigné quinze fois 203 l’infortuné sujet de leur expérience ou plutôt de leur ignorance, déclarent que, s’il ne guérit point, c’est signe que la maladie n’est pas dans le sang, et qu’ils vont le purger autant de fois pour voir si elle n’est pas dans les humeurs204 : toutes ces scènes là, et bien d’autres, qu’elles sont poignantes, mais quelles sont vraies205 ! […] Toutes les scènes où Molière fait dire des sonnets ou des petits vers sont des chefs-d’œuvre de critique littéraire.

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