De toutes les comédies que Molière a imitées des anciens, aucune sans contredit n’a plus mal réussi que Les Fourberies de Scapin. […] D’après tout ce qui précède je me crois en droit d’affirmer, contre l’opinion dominante, que c’est dans le comique burlesque que Molière a le mieux réussi, et que son talent de même que son inclination était pour la farce : aussi a-t-il écrit des farces jusqu’à la fin de sa vie. […] Voltaire qui n’a jamais réussi dans la comédie proprement dite, a donné, dans Nanine et dans L’Enfant prodigue, un mélange de scènes comiques et de situations attendrissantes, dont la partie sérieuse mérite de véritables éloges, et la Chaussée avait déjà introduit en France le drame sentimental. […] Il est vrai que les moyens par lesquels Beaumarchais a réussi, sont quelquefois étrangers à l’art dramatique. […] Ils avaient bien raison de combattre en désespérés, car si cette pièce avait réussi, c’en était fait peut-être des saintes unités, et de ce lion goût qui veut que l’on sépare à jamais la peinture des héros de celle des gens du peuple.
Non-seulement en effet ils ne réussiront jamais à prouver que le secret de Corneille, de Racine, et de Molière est venu jusqu’à eux, transmis fidèlement de génération en génération, mais il n’est pas malaisé de leur montrer que le sens qu’ils donnent parfois à leurs rôles ne s’accorde pas avec l’intention de hauteur et blesse le goût et la raison. […] Acceptez comme juste l’intention que les comédiens prêtent à Molière, supposez qu’Arnolphe ait conscience de sa situation, et cette comédie, admirée par tant de générations, devient une œuvre insignifiante et vulgaire ; le charme du style ne réussira pas à la sauver. […] Je veux bien croire que c’est l’opinion adoptée dans l’école de la rue Bergère et au théâtre de la rue Richelieu : ceux qui l’affirment sont sans doute bien informés ; mais en lisant Molière, je ne réussis pas à comprendre le personnage de Bélise comme le comprend Mme Thénard. […] Pour sentir la valeur des questions littéraires, il faut être doué d’une faculté particulière, que les arguments les plus décisifs ne réussiront jamais à développer.