Le philosophe regarde les tartuffes comme des monstres qui insultent à la fois la dignité humaine et la grandeur de Dieu ; à leur vue, le chrétien ne peut s’empêcher de penser à la parole divine : « Prenez garde de faire vos bonnes œuvres devant les hommes pour être vus d’eux ; autrement vous n’aurez point de récompense chez votre Père qui est dans les deux. […] Aujourd’hui même, des juges sincères peuvent être d’avis que cette absence complète, non-seulement de toute pratique, mais de toute pensée religieuse, a préludé, non pas à l’irréligion haineuse et prétendue savante des philosophes du dix-huitième siècle, mais à l’indifférence de bon ton qui règne de nos jours dans une grande partie de ce qui s’appelle par convenance la société chrétienne.
Le philosophe et l’auteur comique, l’honnête homme et le poète, voilà ce qu’on trouve dans l’auteur du Tartuffe : cet immortel ouvrage n’est pas seulement un monument pour les lettres, c’est un service rendu à l’humanité. […] C’est surtout comme peintre de mœurs et comme philosophe qu’il faut juger Molière ; les intérêts de la morale doivent passer avant les scrupules de la grammaire. […] La Bruyère est le seul philosophe du siècle de Louis XIV qui n’ait point su apprécier le Tartuffe ; quant aux auteurs sacrés, tous ne furent pas aussi tolérants que l’envoyé du Saint-Siège et les prélats auxquels le monarque déféra l’examen de ce chef-d’œuvre : plusieurs ont pu être de bonne foi dans leurs attaques, mais l’esprit de corps rend les hommes d’église injustes et passionnés comme tous les autres ; et peut-être l’opinion généralement accréditée que l’évêque d’Autun, Roquette, avait été le modèle de l’hypocrite de Molière, n’a pas peu contribué à les irriter contre son chef d’œuvre. […] Molière est le poète des philosophes, et ses ouvrages font les délices de tous les hommes raisonnables et de tous les hommes polis.