Molière avait cependant frayé cette bonne route, et, dans le passage de La Critique de l’Ecole des Femmes que nous avons choisi pour épigraphe, il exprime par l’organe de Dorante son propre sentiment sur le genre de talent et la mission des poêles comiques. […] Je n’ai cité ces passages que comme arguments propres à corroborer ce que j’ai dit sur la nécessité d’animer l’ensemble du rôle d’une chaleur et d’une verve soutenues. […] Ainsi, pour en donner une juste idée, il ne faudrait pas, à l’exemple de beaucoup de comédiens, débiter certains passages du rôle avec cet accent tendre et véhément que d’ordinaire on emploie au théâtre pour exprimer les élans d’un amour honnête. […] Vers la fin de sa déclaration, plus maître de lui, Tartuffe, en homme positif, va droit à son but, et ce qu’il importe alors de bien faire sentir, c’est ce passage où, tacticien habile, il explique à Elmire, au point de vue de sa morale, les avantages que trouvent les femmes à aimer les gens de son espèce. Dans ce passage, l’acteur doit baisser un peu la voix, ralentir sa diction, et lui donner quelque chose de mystérieux.
« Le plus beau quartier de la ville de Coquetterie est la grande place, qu’on peut dire vraiment royale 44… Elle est environnée d’une infinité de réduits, où se tiennent les plus notables assemblées de coquetterie, et qui sont autant de temples magnifiques consacrés aux nouvelles divinités du pays ; car, au milieu d’un grand nombre de portiques, vestibules, galeries, cellules et cabinets richement ornés, on trouve toujours un lieu respecté comme un sanctuaire, où sur un autel fait à la façon de ces lits sacrés des dieux du paganisme, on trouve une dame exposée aux yeux du public, quelquefois belle et toujours parée ; quelquefois noble et toujours vaine ; quelquefois sage et toujours suffisante ; et là, viennent à ses pieds les plus illustres de cette cour pour y brûler leur encens, offrir leurs vœux et solliciter la faveur envers l’amour coquet pour en obtenir l’entrée du palais de bonnes fortunes. » On lit dans un autre passage, que dans le royaume, « il n’est pas défendu aux belles de garder le lit, pourvu que ce soit pour tenir ruelle plus à son aise, diversifier son jeu, ou d’autres intérêts que l’expérience seule peut apprendre45 ». […] Remarquez au reste, comme preuve de la force ajoutée par la diphtongue oi aux mots foi, roi, foi, qu’elle exige une plus forte émission de la voix que lé, ré, fé, qu’elle oblige à desserrer les dents et les lèvres pour s’ouvrir un passage plus libre et comme pour donner aux paroles plus de solennité.