On dirait que les auteurs qui ont porté la main sur cette œuvre ont été pris d’un ardent amour national, et qu’ils ont voulu en ôter tout ce qui venait de l’italien. […] Avant d’avoir atteint cet âge, tous nos grands hommes ont déjà publié leurs œuvres complètes. […] Elles nuisent aux œuvres durables de l’art. […] Henriette, forcée d’être présente à la lecture des œuvres de M. […] Molière a attaqué vivement la faiblesse la plus inhérente à l’humanité, l’amour exagéré de la vie, et sa dernière pièce fut l’œuvre la plus philosophique de son génie.
L’éloquent Chrysostome, dans un discours sur l’hypocrisie même, a dit : « Le libertin ne manque jamais de se prévaloir de la fausse piété, pour se persuader à lui-même qu’il n’y en a point de vraie, ou du moins qu’il n’y en a point qui ne soit suspecte, et pour affaiblir par le reproche qu’elle semble lui faire continuellement de son libertinage. » L’ingénieux Augustin a dit : « L’hypocrisie est cette ivraie de l’Évangile, que l’on ne peut arracher sans déraciner aussi le bon grain. » Louis XIV, qui n’était pas un faux dévot, et qui n’avait pas lu les Pères de l’église, Louis XIV, au milieu d’une fête voluptueuse donnée à la première et à la plus chérie de ses maîtresses, fut frappé des mêmes conséquences, lorsque, parlant du Tartuffe, il craignit qu’une trop grande conformité entre ceux qu’une véritable dévotion met sur le chemin du ciel et ceux qu’une vaine ostentation des bonnes œuvres n’empêche pas d’en commettre de mauvaises, ne fît prendre la vertu et le vice l’un pour l’autre par les personnes incapables d’en faire un juste discernement 3. […] Voltaire rapporte, en deux endroits de ses œuvres, une aventure tirée des livres sacrés des Brames, laquelle ressemble parfaitement à celle du général thébain. […] Il est vrai qu’Orgon veut donner sa fille en mariage à Tartuffe ; mais Philaminte aussi veut prendre Trissotin pour gendre ; et Trissotin est bien l’abbé Cotin, comme le prouvent le sonnet et le madrigal tirés des œuvres mêmes de cet auteur, et la fameuse scène copiée d’après une dispute qu’il avait eue avec Ménage. […] Voici textuellement le passage de la description des Plaisirs de l’Île enchantée : « Le soir, Sa Majesté fit jouer les trois premiers actes d’une comédie, nommée Tartuffe, que le sieur de Molière avait faite contre les hypocrites ; mais, quoiqu’elle eût été trouvée fort divertissante, le Roi connut tant de conformité entre ceux qu’une véritable dévotion met dans le chemin du ciel, et ceux qu’une vaine ostentation des bonnes œuvres n’empêche pas d’en commettre de mauvaises, que son extrême délicatesse pour les choses de la religion ne put souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu qui pouvaient être pris l’un pour l’autre ; et, quoiqu’on ne doutât point des bonnes intentions de l’auteur, il la défendit pourtant en public, et se priva soi-même de ce plaisir, pour n’en pas laisser abuser à d’autres, moins capables d’en faire un juste discernement. » Cette citation est tirée de l’édition originale publiée, en 1665, par Ballard, et plusieurs fois réimprimée du vivant de Molière. Mais, dans l’édition de ses œuvres, donnée en 1682 par La Grange et Vinot, le passage est altéré d’une manière fort remarquable.