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104. (1818) Épître à Molière pp. 6-18

Je pense que l’on ne me reprochera pas d’avoir interverti l’ordre des chefs d’œuvres de Molière, en plaçant l’Avare avant le Misanthrope et le Tartuffe qui l’ont précédé. […] Loin de moi l’intention de révoquer en doute la sincérité des principes de tolérance proclamés par le Gouvernement ; mais que l’on se rappelle les clameurs que la réimpression des œuvres de Voltaire et de Rousseau a excitées il y a quelques mois ; les outrages prodigués aux deux plus beaux génies du dix-huitième siècle, à ces immortels apôtres de la raison et dé l’humanité, et l’on jugera s’il y aurait aujourd’hui de la prudence à publier pour la première fois l’Essai sur les mœurs et l’esprit des Nations, ou la profession de foi du Vicaire savoyard.

105. (1882) L’Arnolphe de Molière pp. 1-98

J’ai peine à croire, je l’avoue, que les grands hommes soient si peu dans le secret de leur génie qu’on le prétend de nos jours ; et il me semble que si je pouvais interroger Molière lui-même sur son œuvre, il m’en dirait des choses au moins aussi sensées que celles qu’en ont pu dire Messieurs tel ou tel, dont les noms figurent, en petits caractères, au bas de chaque page de ses œuvres dans les éditions Variorum. […] si vain quoique si vif, de revoir et d’entendre un. auteur depuis si longtemps enseveli qu’on ne sait plus même où gît sa cendre, si ce désir est concevable, c’est surtout quand il part d’un comédien, car je ne veux pas être autre chose, et qu’il s’applique à un grand homme qui fut un comédien aussi, et qui, sans aucun doute, faisait de son jeu le commentaire le plus précis et le plus profond de son œuvre. […] D’abord parut Zélinde, la Contre-Critique de l’Ecole des Femmes ; œuvre de lourde digestion, que les grands comédiens, bien qu’elle fût écrite pour eux, et peut-être par l’un d’eux, ne voulurent pas jouer, sûrs qu’elle tomberait. […] Cependant Molière avait publié, à l’occasion de sa pension, le Remerciement au Roi qu’on trouve dans ses œuvres, en tête ou en queue de la Critique : un morceau pétillant, d’un entrain de gaieté qui ne respecte rien, et que je regrette bien de n’avoir pu dire encore, à la Comédie-Française, à quelque anniversaire. […] Et pourtant ce mécréant en peinture, une fois devant sa glace, savait se faire une tête qui était une œuvre de maître ; et quand il entrait en scène, la perruque était peut-être de travers et le costume incomplet, mais l’homme y était ; et il n’avait qu’à parler, et l’homme vivait, vivait et charmait.

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