Et cet appel à la piété de la reine-mère que la cabale représente comme indignée de l’audace sacrilège de Molière, et comme souffrant en secret de l’appui que lui accorde le prince ; ce calcul perfide qui montre le fils en opposition avec la mère, qui reproche à l’un une complaisance coupable aux yeux du ciel et des hommes, qui représente l’autre faisant vainement entendre une voix fervente et pieuse, et obligée d’étouffer les scrupules de sa conscience, n’achèvent-ils pas de dévoiler la méchanceté atroce et profonde de ces hypocrites qui enfoncent saintement le poignard dans les cœurs ? […] Il est plus naturel de croire que cette défense du Tartuffe est l’ouvrage d’un des amis de Molière, qui la revit avec soin, et sous tes yeux duquel elle fut peut-être écrite : c’est une des pièces principales de ce grand procès ; elle est digne, sous tous tes rapports, de l’attention des critiques et des moralistes. […] De profonds scélérats ont cru y trouver un abri pour tous leurs crimes : l’empoisonneur Desrues osait invoquer le nom de Dieu ; et l’assassin Maingrat, ce prêtre impie et féroce dont le crime a épouvanté notre époque, avait fasciné tous les yeux par une sorte de dévotion sauvage qui se refusait même aux plus innocentes distractions, qui interdisait tous les plaisirs comme profanes, et qui condamnait la jeunesse elle-même aux austérités de la vie des anachorètes. […] « Il faudra donc que nous passions pour honnêtes les impiétés et les infamies dont sont pleines les comédies de Molière, ou qu’on ne veuille pas ranger parmi les pièces d’aujourd’hui celles d’un auteur qui a expiré pour ainsi dire à nos yeux, et qui remplit encore à présent tous les théâtres des équivoques les plus grossières dont on ait jamais infecté les oreilles des chrétiens ! […] À peine Louis XIV avait fermé les yeux que tous les dévots de la veille devinrent les roués du lendemain.
Conviendrait-il que, sur cette scène, où tout ce qui s’adresse à l’oreille et aux yeux excède, à cause de l’éloignement, la mesure ordinaire des choses, ce qui est du ressort de l’esprit seul restât renfermé dans les bornes communes ? […] Ces découvertes ont en soi peu d’importance ; elles n’ajoutent rien à la gloire de Molière, que rien ne peut augmenter ; mais cette gloire même les protège de son éclat, et elle doit en rehausser le prix à tous les yeux. […] Il nous répondit que c’est parce que nous le voyons alors par les yeux de l’imitateur qui sont meilleurs que les nôtres : car, ajouta-t-il, le talent de l’apercevoir par soi-même n’est pas donné à tout le monde. […] Molière, dans la société, était sur le terrain même de ses études : quand sa langue était muette, son œil n’en était que plus occupé, et son oreille plus attentive. […] Il savait assez bien les apercevoir lui-même, et il les voyait mieux sans doute par ses propres yeux que par ceux d’autrui.