Ce qui affligeait Alceste dans la sagesse de ses amis, c’était qu’ils crussent qu’il eût besoin de morale, lorsqu’il ne demandait qu’un peu d’épanchement; mais ce qu’il ne pouvait pas leur dire, il le mettait dans ses pièces, le disait sur son théâtre; là du moins on l’écoutait. […] Aussi Molière ne préparait-il pas une œuvre de raillerie, mais une œuvre de fondation morale, où la vertu devait briller dans sa force et sa grâce. […] Jourdain, dont il joua le rôle et auquel il fait dire si plaisamment, lorsque le maître de philosophie lui veut enseigner à modérer ses passions : « Non... je suis bilieux comme tous les diables, et il n’y a pas de morale qui tienne, je me veux mettre en colère. » Malgré cela, aimé de tous ceux qui l’entouraient, jusqu’aux moindres enfants, ses comédiens, Boileau, La Fontaine, Ninon, Mme de la Sablière, le grand Condé, tous se plaisaient avec lui. […] Sa femme, à mesure qu’il avait grandi en réputation, en dignité morale, s’était abandonnée davantage, et, n’ayant point de famille à lui, il allait se reposer dans celle de son ami. […] Il se sentait aller : était-ce maladie, épuisement, douleur morale ?
Les auteurs s’indignent au nom des règles, les dévots au nom de la morale ; les uns invoquent Aristote, les autres citent les Pères de l’Église, et le traité des spectacles de saint Cyprien, et la première catéchère mystagogique de saint Cyrille. […] Véritablement il n’a pas de pudeur, et, comme tous les libertins finissants, cet être sans morale et sans foi tâche à tourner à son profit la foi et la morale ; et il apprend le catéchisme à Agnès, comme Louis XV aux petites filles du Parc aux Cerfs ; mais un catéchisme à l’usage des maris, où le Tout-Puissant, avec sa grande barbe, est constitué le gardien et le vengeur de l’honneur conjugal, et celui qui fait bouillir en enfer les femmes mal vivantes.