Il fallait qu’à cette époque la législation et l’usage n’eussent pas encore bien établi les droits de la propriété littéraire, du moins quant à l’impression des ouvrages dramatiques ; car Neufvillenaine, en faisant imprimer, à son profit sans doute, la pièce d’un autre, crut faire la chose du monde la plus simple et la moins sujette à contestation. […] Ce n’est pas ainsi que les choses se passent dans le monde, dont la vraie comédie entreprend de retracer les actions ordinaires, aussi bien que d’en peindre les mœurs habituelles. […] Le seul rapport qui existe entre Les Visionnaires et Les Fâcheux, c’est que les deux comédies ont pour objet de représenter un certain nombre de personnages, atteints chacun de quelque folie particulière ; mais, sans parler de la prodigieuse distance où elles sont l’une de l’autre pour le mérite, il y a entre elles cette grande différence que les Visionnaires semblent des fous échappés des Petites-Maisons, tandis que les Fâcheux sont des extravagants tels qu’on en rencontre dans le monde. […] La rencontre, si même c’en est une, est à peine digne de remarque : le sujet des Fâcheux n’est rien, et il se trouve partout, puisque chaque pas que nous faisons dans le monde nous fait rencontrer des importuns qui nous détournent de nos affaires ou de nos plaisirs.
Quant à Corneille, on lui découvrirait des choses -non moins surprenantes ; on lui révélerait par exemple que, bien des années avant Polyeucte, la mère Angélique de Port-Royal ayant, pour compléter son renoncement au monde, refusé un jour la porte de son couvent à son père qui la venait voir, c’est probablement à cette grande journée du guichet, à ce coup d’état de la grâce , que le poète a dû les plus belles scènes de Polyeucte ; qu’en conséquence lui, l’élève et l’ami des jésuites, se trouve avoir beaucoup d’obligations aux jansénistes, et qu’il peut figurer avantageusement dans une histoire de Port-Royal, où un parallèle entre Polyeucte et la mère Angélique, entre Pauline et M. […] Les grandes émotions qui bouleversent le monde, les désastres même qui le désolent, impriment à l’intelligence humaine de salutaires secousses. Le XVIe siècle, ce siècle si malheureux, est celui qui a jeté dans le monde toutes les idées fécondes sur lesquelles nous avons vécu depuis. […] Ce n’est pas que parfois, comme toutes les puissances du monde, elle ne place singulièrement ses faveurs et ne les prodigue un peu au hasard ; mais comparez ses appréciations à celles des protecteurs les plus éclairés des temps anciens ; relisez la liste des pensions dressée par Colbert, approuvée par Louis XIV, et dites si jamais le public, s’est aussi grossièrement trompé que le grand ministre et le grand roi.