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239. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XI. Du Dialogue. » pp. 204-222

L’on croit avoir ajouté au plaisant, en forçant Harpagon à mettre fort long-temps la main devant la bouche de Maître Jacques pour l’empêcher de parler, & l’on a écarté le bon comique, inséparable de la vraisemblance, pour substituer à sa place la farce la plus plate. […] Nous n’avions rien à donner, nos vieillards y avoient mis bon ordre. […] Quand on vous en parle, on vous met en courroux. […] Voilà la regle que les bons Auteurs ont puisée dans la nature, dans le cœur humain, & qu’ils se sont imposée : ils ont mieux fait ; ils ont oublié leur cabinet, le théâtre, leur esprit sur-tout ; ils se sont mis à la place de leurs personnages, ils se sont bien pénétrés de leur situation, & ils ont coupé, pressé, ralenti leur dialogue en conséquence.

240. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE X. Du Père, de la Famille, de l’Etat. » pp. 193-216

‘ Un philosophe de nos jours a montré, dans un livre excellent, que la famille est la véritable source de la moralité des peuples658 : Molière n’a jamais mis sur son théâtre l’exemple d’une famille qui ne fût odieuse ou ridicule. […] toujours mettre en scène des chefs de famille fous et ridicules, qui font une guerre haineuse aux désirs naturels et raisonnables de leurs enfants ? […] Qu’on se rappelle les pères de Térence707, et même quelques pères de Plaute708, et qu’on dise s’il n’y a pas plaisir à voir la discrète assiduité, l’inquiète sollicitude avec laquelle ils suivent la conduite de leurs fils entrant dans la vie ; si l’on n’est pas touché de la sage ardeur qu’ils déploient à les rendre bons et heureux ; si l’on ne respecte pas le soin jaloux qu’ils mettent à s’entourer pour leurs vieux jours d’une famille aimante ? […] Molière y alla sans marchander ; il mit sur la scène un gueux plus noble de cœur qu’un gentilhomme716 ; il bafoua les bourgeois qui croient que c’est une belle chose de devenir gentilhomme ; les Arnolphe qui se donnent le nom de Monsieur de la Souche ; les Gros-Pierre qui s’appellent pompeusement Monsieur de l’Isle 717 ; les George Dandin qui, par un allongement, reçoivent le titre de Monsieur de la Dandinière 718 ; on n’oubliera jamais l’illustre maison de Sotenville, dans laquelle « Bertrand de Sotenville fut si considéré en son temps que d’avoir permission de vendre tout son bien pour le voyage d’outre-mer719, » ni celle de la Prudoterie « où le ventre anoblit720 ; » on rira éternellement des manies de dignité et de vanité qui constituent toute la noblesse des Pourceaugnac et des Escarbagnas ; enfin le type du marquis, produit par Molière et prodigué dans toutes ses pièces, est resté et restera comme l’un des meilleurs personnages du théâtre comique. […] Plaute a bien mis sur la scène des vieillards débauchés, des pères rivaux de leurs fils : mais il se croyait obligé de s’en excuser publiquement :   Hi senes, nisi fuissent nihili jam inde ab adolescentia,   Non hodiè hoc tantum flagitium facerent canis capitibus, etc.

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