Les académistes reprochaient à Molière ses barbarismes, ses incorrections, et les libertés qu’il se donnait d’inventer de nouvelles expressions ; mais c’est tout cela, avec le vieux fonds de farce et de fabliau que La Fontaine allait piller aussi, c’est tout cela qui donne à son style cet éclat si franc, cette saine richesse et ce cossu qu’y admirait Sainte Beuve. […] Ce grand railleur, quoi qu’on eu ait dit, est le contraire d’un Hamlet : l’homme le réjouit, et la femme aussi. 11 est pour la nature, pour la liberté du cœur, pour la jeunesse ; en un mot, il est pour Horace, il est surtout pour Agnès, et contre Arnolphe, par conséquent. […] Et je ne crois pas qu’aujourd’hui Molière s’effraierait beaucoup de cette liberté qu’on laisse aux jeunes filles chez nos voisins, — pourvu naturellement qu’on les eût armées pour la défense. Il se fierait, pour que cela ne passât pas les bornes, à ce bon sens de race que je rappelais à l’occasion d’Henriette, à ce sens exquis de la mesure et du goût, qui est inné chez nos Françaises, et, aussi, à cette galanterie respectueuse, la galanterie du galant homme, qui ne se perd chez nous qu’à cause justement de la séparation des sexes, cette séparation contraignant l’homme à se gâcher l’esprit et le cœur dans la société des filles de plaisir. — J’ai pu, pour ma part, m’assurer plus d’une fois que cette forte éducation, cette liberté des jeunes filles anglo-saxonnes, savent en faire des créatures admirablement loyales, point du tout pédantes, nullement dénuées de charme féminin ; et je me suis pris à penser que nos jeunes filles françaises y puiseraient très probablement des qualités inattendues, propres à ranimer ces choses qui vont disparaissant : la conversation dans le salon, le conseil au foyer.
Il est certain que Houdon, avec sa conscience habituelle, a eu devant les yeux deux au moins des portraits que je viens de signaler ou les gravures qui en avaient été faites ; mais il s’est servi avec une liberté créatrice des élémens qu’ils lui fournissaient. […] Boissat n’était qu’un écrivain médiocre, mais il aimait sincèrement les lettres, les arts, les artistes, et il manifestait ce goût avec une liberté d’esprit et une indépendance d’allures très méritoires de tout temps chez un provincial : « Il vouloit, dit son biographe, que Molière prît place à sa table ; il lui donnoit d’excellents repas et, au contraire de certains fanatiques, ne le mettoit pas au rang des impies et des scélérats, quoiqu’il fût excommunié. » Ce digne bailli nous fait entrevoir un coin de la vieille France, où l’on vivait largement, avec bonne humeur, sans rigorisme, heureux de saisir les occasions trop rares de plaisir relevé. […] Il était assidu chez Ninon de Lenclos, dont la liberté d’esprit le mettait tout à fait à l’aise ; il la consultait fréquemment et profitait beaucoup de ses avis, la tenant pour « la personne du monde sur laquelle le ridicule faisait la plus prompte impression. […] Cette liberté d’esprit n’engendra, du reste, chez lui, ni l’imprudence, ni le parti-pris, ni les mauvaises manières, ni l’indulgence pour soi-même que l’on rencontre chez les écrivains du XVIe siècle et surtout chez ceux du XVIIIe ; dans une profession et des circonstances également difficiles, ce grand homme fut, en même temps, un brave homme.