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93. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

Legrelle, Holberg, qui est très populaire dans son pays, et qui, si j’en juge par les extraits qu’a donnés le jeune professeur, est un bon écrivain comique de premier ordre. […] On trouve qu’une femme est laide et sotte, et on la flatte sur son esprit et sur sa beauté ; on reconnaît que la justice ne doit jamais être influencée, et l’on va trouver son juge ; on pense que des vers sont exécrables, et l’on en fait compliment à l’auteur ; et pour sortir des exemples qu’a choisis Molière, et transporter la discussion sur un terrain plus vaste, on proclame hautement que la liberté de penser et d’écrire est de droit naturel, et dans la pratique on traite par le mépris, ou par la prison, ceux qui en usent ; on déclare que l’adultère est le pire de tous les crimes, et l’on prend la femme de son voisin ; et l’on a pour soi l’assentiment tacite du monde, qui vous accablera d’ailleurs, si le voisin se met à sonner l’alarme. […] Il y a certes plus de vrai ridicule à dire des vers qu’on juge exécrables qu’ils sont excellents ; car la disproportion entre la pensée et la parole est évidente. […] Il lui avait fait accroire qu’il était fils d’un prince russe, qu’il attendait des traites de son père ; il avait compliqué cette histoire, assez commune, de récits d’aventures si prodigieuses, si invraisemblables, qu’à diverses reprises l’auditoire de la police correctionnelle éclata d’un franc rire et que le juge ne put s’empêcher de dire au témoin, dont la mine était assez piteuse : — Mais, monsieur, comment avez-vous pu croire à ces contes des Mille et une Nuits ? […] Si je guignolisais ces deux rôles, le public, le juge suprême, ne m’accueillerait pas favorablement dans ces deux chefs-d’œuvre de Molière.

94. (1840) Le foyer du Théâtre-Français : Molière, Dancourt, I pp. 3-112

Car, si nous examinons ses paroles, il semble qu’il soit assez modeste pour craindre de faire mettre son nom sous la presse; cependant il cache sous cette fausse vertu tout ce que l’insolence a de plus effronté ; et c’est sur le théâtre une satyre qui, quoique sous des images grotesques, ne laisse pas de blesser tous ceux qu’il a voulu accuser; il fait de plus le critique, il s’érige en juge, et condamne à la berne les singes, sans voir qu’il prononce un arrêt contre lui en le prononçant contre eux ; puisqu’il est certain qu’il est singe en tout ce qu’il fait, et que non seulement il a copié les Précieuses de M. l’abbé de Pure, jouées par les Italiens, mais encore qu’il a imité, par une singerie dont il est seul capable, le Médecin volant et plusieurs autres pièces des mêmes Italiens, qu’il n’imite pas seulement en ce qu’ils ont joué sur leur théâtre, mais encore en faisant leurs postures, contrefaisant sans cesse sur le sien et Trivelin et Scaramouche. […] Montfleury fils a été plus heureux dans la comédie de la Femme Juge et Partie, qu’il a laissée au répertoire du Théâtre-Français, car on la joue encore toute licencieuse qu’elle est. […] Montfleury, dans sa propre pièce de la Femme Juge et Partie, fournit la preuve que la bienséance est quelquefois violée par la comédie ; mais tous les bons esprits accordent à la comédie certaines licences qui sont légitimées par sa vieille devise : Castigat ridendo mores. […] Il est grand seigneur avant tout, le plus probe, le plus excellent des grands seigneurs ; mais il n’est frappé que des abus qui le touchent, et non point de ceux qui pèsent sur la foule ; il jouit même de privilèges injustes, dont son âme, si droite, n’est aucunement choquée, accoutumée qu’elle est à ces abus ; et la pensée ne lui vient pas que son souffle pourrait abîmer un matin cette société de courtisans, de flatteurs, de juges corrompus, ce monde brillant, mais faux, qui le gêne et l’indigne à chaque pas.

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