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123. (1900) Molière pp. -283

Eh bien, maintenant, rassemblez tous ces traits, mettez-vous devant les yeux cet humiliant collier de servitude, cette vie en promiscuité, avec l’idéal constant d’une vie et d’une vertu austères devant les yeux, la mort sans cesse défiée, mais sans cesse présente ; le chagrin et la honte d’une situation de mari que nos bons aïeux désignaient par un mot impossible à répéter ici, et où ils avaient rassemblé tout ce qui peut s’imaginer de grotesque et de pénible ; quand vous aurez rassemblé tous ces traits, supposez que tout cela, jeté dans un cerveau de poète comme dans un laboratoire, y fermente et s’y tourne en rire, et songez quel rire formidable, quel rire triste, quel rire sinistre jusque dans sa pleine expansion, vous aurez alors ! […] Aussi, lorsqu’elle dit cela à Pierrot, lui répond-il d’une façon très brutale : « J’aime mieux te voir crevée que te voir à un autre. » Tout ce qui peut s’imaginer de méchant et de pervers se trouve certainement condensé dans cette espèce de vanité féminine, fille de l’instinct pur, que l’éducation, les bonnes maximes et les bons exemples d’une famille honnête ont infailliblement la puissance d’élever, de corriger. […] Cet homme d’un bon sens profond, qui a écrit contre les mariages disproportionnés des pages d’une éloquence si terrible, qui, s’il penche de quelque côté dans ses œuvres, s’il a quelque partialité, penche plutôt du côté de l’entreprenante jeunesse, en qui il est prêt à tout excuser et à tout pardonner ; cet homme imagina, à quarante ans sonnés, malade (sa poitrine était déjà atteinte), usé par les fatigues de sa profession d’auteur, et de sa profession de comédien, usé même par les désordres de sa vie antérieure, imagina, dis-je, d’associer à sa vie une petite fille de dix-sept ans, Armande Béjart, élevée au théâtre dans sa propre troupe, parmi les maximes licencieuses dont le théâtre de cette époque est plein, et parmi les mauvais exemples dont la vie de comédien était alors exclusivement remplie, et que Molière lui-même avait donnés autant que personne. […] Non qu’il faille s’imaginer que le théâtre soit un miroir et rien de plus, les mœurs de la scène celles de la ville, et que la fantaisie, même arbitraire, n’ait aucune part à la création des types comiques. […] CÉSAR Après avoir combattu le Sénat, pouvais-je empêcher un corps toujours redoutable par le respect qu’il inspirait au peuple, pouvais-je l’empêcher d’achever de se perdre en me prodiguant de basses flatteries que je ne lui demandais point, et d’enlever à sa propre dignité tout ce qu’il imaginait d’ajouter à la mienne ?

124. (1823) Notices des œuvres de Molière (VII) : L’Avare ; George Dandin ; Monsieur de Pourceaugnac ; Les Amants magnifiques pp. 171-571

Comme l’argent est le moyen d’échange par lequel on se procure toutes les jouissances qui satisfont les sens, et même quelques-unes de celles qui flattent l’amour-propre, l’avare, parce qu’il possède le signe représentatif de beaucoup de choses, s’imagine posséder les choses mêmes que ce signe représente, c’est-à-dire, qu’il prend l’image pour la réalité, le moyen pour la fin, et une privation pour une jouissance. […] En 1760, un éditeur de Molière, au lieu de se borner à extraire de cette Relation, les intermèdes dont la représentation de la comédie fut accompagnée à Versailles seulement, imagina d’imprimer la Relation toute entière, à la suite de George Dandin.

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