Molière s’est approprié tout ce qui, dans les comiques anciens et modernes, étrangers et nationaux, lui a paru digne d’être mis en œuvre par son génie. […] Corneille avait imité en homme de génie ; les auteurs de l’époque copièrent sans discernement et sans goût. […] Avait-il manqué de génie pour l’inventer lui-même ? […] Ce sujet était Molière et son génie : je m’estimerai trop heureux si l’image que j’en ai tracée n’est pas jugée tout-à-fait indigne du modèle. […] Non : il a peint tous les hommes, tous font leurs délices de ses ouvrages, et tous sont fiers de son génie.
Le regne de Louis XIV fut un temps de prospérité pour les Arts & les Lettres, parceque ce Prince fit les établissements les plus favorables aux hommes de génie, & que Colbert s’attachoit à récompenser les personnes qui servoient bien son maître, préférablement à celles qui lui faisoient une cour servile. […] C’est le privilege exclusif accordé à une seule troupe sur les choses les plus libres, les plus franches, les plus respectées chez toutes le nations, c’est-à-dire, le plaisir du public, les talents & le génie. […] Une troupe qui jouit d’un privilege exclusif, peut enchaîner le génie, lui arracher ses ailes, & lui dire : « Il n’est plus question de prendre l’essor, & de t’élever à ton gré dans les nues : il faut te modeler à notre taille, à nos gestes. […] Enfin, s’il est vrai qu’un Empire soit plus ou moins illustre à mesure qu’il produit plus ou moins d’hommes de génie, d’hommes immortels, pourquoi ne pas admettre le seul moyen qui peut nous rapprocher de ce temps fameux où les Corneille, les Moliere, les Racine, s’immortalisoient chacun sur un théâtre différent ? […] L’un des génies que nous venons de nommer l’auroit occupée ; les autres se seroient découragés, & la France eût perdu cent chefs-d’œuvre qui lui feront à jamais le plus grand honneur60.