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15. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE X. De la Diction. » pp. 178-203

Voyons avec quelle force, & en même temps avec quelle simplicité, Palestre se plaint. […] Je sais que sur les vœux on n’a point de puissance, Que l’amour veut par-tout naître sans dépendance, Que jamais, par la force, on n’entra dans un cœur, Et que toute ame est libre à nommer son vainqueur. […] La soubrette du Tartufe a bien autant d’esprit ; elle s’exprime avec bien plus de force & d’énergie ; elle dit naturellement de belles choses, sans que son ton jure jamais avec son état & son éducation. […] Peu d’Auteurs ont la force de lutter contre le goût du siecle ; & voilà le mal. […] C’est à mes lecteurs à peser cette pensée, à juger combien de goût, de force d’esprit, de philosophie, de grandeur d’ame, elle décele, & sur-tout dans un Roi.

16. (1867) La morale de Molière « CHAPITRE III. L’Honnête Homme. » pp. 42-64

Non : l’homme, être perfectible, n’est honnête homme qu’en s’appliquant de toutes ses forces à régler en soi les passions excessives, à se rendre meilleur de toutes façons, par le travail, par la science, par la charité, par les manières même et par la politesse, par l’esprit et par le corps, enfin à s’approcher autant que possible du type idéal de l’humanité ; en sorte qu’il réalise le vœu de Platon, qui demande que la vie du sage soit un effort pour se rendre semblable à Dieu 124, ou plutôt qu’il obéisse au commandement du Christ : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait 125. » Ce n’est pas seulement en gros et dans les circonstances importantes qu’il faut être vertueux : l’honnêteté consiste à se perfectionner en tout genre, à poursuivre le bien en toutes choses, à fuir, après les vices, les défauts, les travers, les ridicules même, et toutes les misères adhérentes à l’humanité, qui rendent quelquefois les petites vertus plus difficiles à pratiquer que les grandes. […] La vertu d’Alceste est intacte et respectée au milieu de tout le rire soulevé par ses ridicules ; et moi-même’, simple et faible spectateur, l’auteur me force par un coup de génie à faire nettement celte distinction qu’Alceste ignore, du mal même que je hais, et de l’homme, qui peut en être atteint jusque dans la plus haute vertu, et que j’aime pourtant, pour sa vertu et pour lui. […] Ne réclamait-il pas, avec toute la force du fou rire rabelaisien, mais avec plus d’autorité que Rabelais193, la rénovation de la philosophie, et ne sonnait-il pas194 aux oreilles des savants la nécessité du bon sens, de l’observation195 et de la modestie, dans les scènes de la Jalousie du Barbouillé et du Mariage forcé 196, qu’on doit conserver dans les archives de l’histoire de la science à côté de l’Arrêt burlesque de Boileau ?  […] Il n’y a pas de circonstance si grave qu’elle lui permette d’abdiquer sa puissance sur soi-même : ruiné dans sa fortune, dans son amour, qu’il garde, jusque dans ces émotions extrêmes, la force de se modérer209. […] Ceci n’est point une invention de Molière : c’est l’exact et affreux récit de la mort de son maître Gassendi en 1656 : « Sentant ses forces anéanties par neuf saignées successives, et se trouvant entouré de ses amis et de plusieurs médecins célèbres, Gassendi demanda timidement s’il ne serait pas à propos de renoncer à la saignée qu’il se croyait incapable de supporter davantage.

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