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12. (1772) De l’art de la comédie. Livre premier. De ses différentes parties (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XIX. De la Gradation. » pp. 342-351

Il ne suffit pas de mettre de belles choses dans une comédie, il faut les placer avec goût, & de façon que les premieres n’enchérissent pas sur les secondes, les secondes sur les troisiemes, ainsi du reste. Si la gradation est nécessaire jusques dans les mots, si un poëte adroit ne met jamais allons après volons, s’il ne dit pas je vous aime après je vous adore, parceque la seconde expression est plus foible que la premiere ; à plus forte raison doit-il avoir le soin de graduer ses moyens & ses situations, de façon que l’admiration du public croisse sans cesse. […] Mais si vous voulez être un moment attentive : Là, parlez franchement ; n’appercevez-vous pas Dans sa façon d’écrire un certain embarras ?

13. (1772) De l’art de la comédie. Livre second. De ses différents genres (1re éd.) [graphies originales] « CHAPITRE XXVII. Du Caractere des Professions. » pp. 284-302

Parceque le public n’est pas instruit de la façon dont un Avocat doit parler ; parcequ’il faut avoir plaidé, ou avoir souvent fréquenté le Barreau pour sentir toute la finesse des critiques renfermées dans les plaidoyers de Petit Jean & de l’Intimé. […] On me dira sans doute qu’il est deux façons de représenter sur le théâtre les vices d’une profession, & qu’un Auteur moderne pourroit introduire sur la scene un Procureur honnête qui fît la critique de ses confreres, en tenant une conduite tout-à-fait opposée à la leur. J’aurois à batailler en demandant si cette façon de présenter les vices changeroit leur nature, ou les rendroit plus comiques & plus moraux : mais j’aime mieux aller au fait dont il est question dans cet article, & prouver que l’Auteur qui suivroit cette route se trouveroit encore devancé par Poisson. […] Turcaret se pique du fol orgueil d’avoir pour maîtresse une femme de condition qui le joue, le hait, le méprise, le pille, & le trompe pour un chevalier ; lorsqu’il envoie un billet au porteur, excellent, & de fort mauvais vers à sa maîtresse ; lorsqu’il veut faire jetter sa maison trente fois à bas pour la faire construire de façon qu’il n’y manque pas un Iota, & qu’il ne soit pas sifflé de ses confreres ; lorsqu’il prétend être connoisseur en musique parcequ’il est abonné à l’Opéra ; lorsqu’il admet à sa table un Poëte qui ne dit rien, mais qui mange & pense beaucoup ; lorsqu’il vend des emplois ; lorsqu’il en donne aux rivaux qui l’embarrassent ; lorsqu’à la priere de sa maîtresse il fait un commis de ce laquais naïf qui prie la dame de se servir toujours du même rouge, afin de plaire à son protecteur, & ne pas le mettre dans le cas d’être révoqué ; lorsqu’il refuse de payer à sa femme une modique pension & qu’il se ruine pour une fripponne à laquelle il donne pour dix mille francs de porcelaines, un carrosse, une maison de campagne, &c.

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