Si Molière avait pu ne pas s’en apercevoir, Les Plaideurs de Racine étaient bien propres à l’y faire penser3; mais ce silence était volontaire, et nous croyons qu’il est possible de l’expliquer à l’honneur de la profession d’avocat. […] L’avocat n’a pas à créer; il prend les faits dans son dossier; il les explique non pas, avec son imagination, mais avec sa raison et son expérience des affaires ; et quant au public, ignore-t-on que les portes de l’audience ne sont pas ouvertes pour que des esprits oisifs ou blasés viennent chercher le plaisir dans le scandale, l’intérêt dans l’aspect d’un malheureux ?
Ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ce poumon, ce cœur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là et qui… » La tirade est interrompue comiquement par nécessité de comédie ; puis le sérieux reparaît, quand Sganarelle conclut : « Mon raisonnement est qu’il y a quelque chose d’admirable dans l’homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauraient expliquer. […] Et quand vous jeûnez, ne faites pas comme les hypocrites à l’air triste, qui s’abîment le visage pour que, les hommes voient qu’ils jeûnent ; car je vous dis en vérité, ils ont reçu leur récompense774. » L’idée haute que Molière avait de la religion, le respect qu’elle lui inspirait775, expliquent cette vigueur d’indignation contre les hypocrites et les prudes776. Les mêmes sentiments expliquent ses railleries contre les superstitions dont le mélange fâcheux déshonore la religion, railleries qui ne furent point comprises d’abord et le firent accuser d’irréligion, si bien qu’il fut obligé de supprimer ce curieux passage du Festin de Pierre : SGANARELLE Voilà un homme que j’aurai bien de la peine à convertir. […] Les mêmes sentiments expliquent encore la curieuse synonymie par laquelle il remplace autant que possible tous « les termes consacrés778 : » il se faisait scrupule de nommer Dieu, l’Église, les mystères, les sacrements, sur un théâtre779.