Le brave frère de Pierre Corneille, dont les vers, pendant tant d’années, avaient protégé et fait oublier la prose de Molière, cette prose exquise, quoi qu’aient dit à l’encontre Fénelon et La Bruyère9, est devenu, à son tour, victime d’un de ces revirements de l’opinion publique qui poussent le droit jusqu’à l’injustice. […] Je conçois que, pour arriver à la conciliation qu’il avait en vue, il ait dû faire le sacrifice de plusieurs scènes, dont le dessin était trop manifeste et l’adresse écrite trop clairement, celle, par exemple, où l’incorrigible duelliste, devenu tout à coup homme de bien, met en action la septième lettre des Provinciales, et pratique, avec un aplomb et une aisance consommés, les maximes de restriction mentale et de direction d’intention recommandées, en pareille circonstance, par Petrus Hurtado.
La leçon donnée par le poète serait donc incomplète, insuffisante, si l’avare n’avait point d’enfants qu’il pût rendre victimes de ses mauvais traitements, pour devenir victime à son tour de leurs sentiments dénaturés ; et le drame serait invraisemblable, si, l’avare étant père de famille, ses enfants, réduits par lui aux plus dures et aux plus humiliantes privations, n’en étaient pas moins tendres et respectueux. […] Si la censure du poète guérit le vice des pères, elle prévient le crime des enfants qui en est la conséquence ; et ainsi, loin d’être pernicieuse pour personne, elle devient salutaire pour tous. […] D’honnêtes et riches bourgeois, désespérant de devenir nobles de leur chef, voulaient du moins s’allier à des familles nobles : les uns donnaient leur fille à quelque gentilhomme obéré, qu’une grosse dot affranchissait de la poursuite de ses créanciers ; les autres, en plus petit nombre, épousaient eux-mêmes quelque fille de qualité, dont les parents recevaient, pour prix de cette mésalliance, de quoi rétablir leurs affaires délabrées. […] Don Sanche et Sostrate voient tous deux couronner leur flamme par un auguste hymen ; mais, avant d’obtenir ce prix, don Sanche, cru fils d’un pêcheur, venait d’être reconnu pour fils d’un roi ; tandis que Sostrate, d’amant devient époux sans changer d’état, et demeure ce qu’il était, le premier de sa race et le fils de ses propres œuvres.