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15. (1853) Des influences royales en littérature (Revue des deux mondes) pp. 1229-1246

Des mots nets et précis, représentant des idées claires, sont la mort de toute discussion : si l’on comprenait bien les termes dont on se sert, peut-être parviendrait-on à s’entendre ; on écrirait moins, on penserait et on agirait davantage. […] Quant à l’œuvre de ses dernières années, cette merveilleuse Athalie, si différente de ses précédens ouvrages, si peu comprise par les contemporains, il faut aussi trop de complaisance pour y voir autre chose qu’une grande inspiration religieuse, due à ses souvenirs de Port-Royal, à ses amitiés jansénistes, enfin à la lecture assidue de la Bible, qui enhardit le génie de Racine et donna cette fois à son style une trempe singulière et une couleur d’un éclat inattendu. […] On comprend que Boileau, vieux et chagrin, voyant cette décadence, s’écriât : « En vérité, les Pradons, dont nous nous sommes tant moqués, étaient des aigles auprès de ces gens-là. » Il faut être juste cependant : à cette époque où, sous Mmede Maintenon, la cour voyait succéder la dévotion et la tristesse aux fantaisies brillantes d’autrefois, où Louis XIV, frappé dans ses affections les plus chères, après avoir vu mourir autour de lui ses fils et ses petits-fils, restait presque seul de sa famille dans son palais morne et silencieux, il y a encore un coin de la littérature où toute la vie intellectuelle du temps semble s’être réfugiée : c’est la comédie. […] Ainsi, quelques années après la mort de Molière, sa langue n’est déjà plus comprise, même par La Bruyère et par Fénelon ! […] Je demande pardon de ces détails, car j’avoue ne pas trop comprendre quelle relation mystérieuse existe entre un sac d’écus et l’inspiration qui fait les Misanthrope et les Athalie ; mais peut-être ces chiffres ne sont-ils pas inutiles.

16. (1901) Molière moraliste pp. 3-32

Nous comprenons maintenant pourquoi la pupille de Sganarelle, la jeune Isabelle de L’École des maris, viendra se jeter d’elle-même, pour ainsi dire, dans les bras de Valère. […] Il comprendra la nécessité d’un nouveau « principe réprimant », faute duquel tous les instincts mauvais ne tarderaient pas à se déchaîner. […] Par elle, Molière nous fait comprendre à merveille combien l’unité de la famille, l’entente de ses membres sous la direction ferme et bienveillante du père sont choses essentielles au point de vue moral. […] C’est que cet Alceste dont Molière comprend, admire, partage l’Idéal, a méconnu les nécessités terrestres et positives. […] Mais il s’est brisé dans l’épreuve, n’ayant pu sortir de lui-même et comprendre la nécessité sociale de pardonner aux hommes leurs imperfections individuelles, en raison des obligations qu’il leur avait collectivement dans le passé et dans le présent.

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