Il ne suffit donc pas d’apprécier littérairement les beautés d’un tel ouvrage ; il faut aussi en retracer historiquement l’origine, les vicissitudes et les effets. […] Du reste, les intentions les plus fines du poète et les beautés les plus délicates de son ouvrage sont dévoilées et rendues sensibles avec une complaisance non moins habile qu’officieuse, et la partie morale du sujet est défendue avec une vivacité quelquefois passionnée qui décèle un grand fonds de bienveillance pour Molière, ou de malin vouloir contre ses ennemis. […] Molière était mort depuis quatorze ans, et il y en avait dix-huit que son chef-d’œuvre jouissait sans opposition des suffrages du public, lorsqu’un des hommes les plus dignes d’en apprécier les beautés, entreprit d’y faire voir des défauts qu’on n’avait pas encore aperçus.
Et en effet celui qui sut rendre sensible à une foule grossière, les traits les plus fins de l’esprit, les sentiments les plus délicats du cœur, qui lui fit comprendre, craindre et éviter le ridicule, connaître, aimer et rechercher les convenances ; celui qui épura son goût jusqu’au point de lui rendre familières les sublimes beautés du Tartufe et du Misanthrope, que fit-il autre chose que de former une nation : les délicatesses du goût sont les premiers éléments de la vertu. […] Là, de l’antiquité Il apprend à goûter la sévère beauté ; Il parle, dans ce monde où l’étude l’exile, La langue de Platon et celle de Virgile ; Il interroge et suit, comme ses précurseurs, Les poètes hardis et les profonds penseurs. […] Tant de beauté, tant de jeunesse, L’enivrèrent à son déclin ; Il lui donna gloire et richesse, Pour avoir de l’enchanteresse Un peu d’amour… Ce fut en vain !