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157. (1847) Le Don Juan de Molière au Théâtre-Français (Revue des deux mondes) pp. 557-567

Un avocat au parlement de Paris, un sieur de Rochemont, s’oublia jusqu’à remontrer au roi, dans un odieux libelle, « que l’empereur Théodose condamna aux bêtes des farceurs qui tournoient en dérision nos cérémonies, dans des pièces qui n’approchoient point de l’emportement qui paroît au Festin de Pierre 3. » On aimerait à rencontrer, dans les écrits contemporains, des renseignements exacts sur cette lutte du génie contre les mauvaises passions, lutte qui commença par le Festin de Pierre, et dans laquelle jamais Molière ne faiblit, ni, ce qui est plus admirable encore, ne dépassa les justes bornes. […] Au premier plan, un riche et insolent libertin qui veut se donner, pour son argent, le passe-temps d’entendre un pauvre homme blasphémer ; d’une autre part, un valet intéressé qui engage l’homme en guenilles à gagner, à si bon marché, un beau louis d’or : « Va, va, jure un peu ; » puis un honnête mendiant qui, ayant au cœur la crainte de Dieu et le sentiment de sa dignité qu’on insulte, répond, sans déclamation, sans hésitation, simplement, fermement : « Non, monsieur, j’aime mieux mourir de faim. » Que fait alors le libertin ? […] Pour moi, j’aurais encore mieux aimé qu’il eût entrepris les deux tâches.

158. (1823) Notices des œuvres de Molière (VII) : L’Avare ; George Dandin ; Monsieur de Pourceaugnac ; Les Amants magnifiques pp. 171-571

Un érudit qui a suppléé le dénouement perdu de la pièce de Plaute, fait précisément prendre à Euclion ce parti-là que ne prendra jamais un véritable avare ; et Plaute lui-même semblerait avoir senti que son personnage est, si j’ose parler ainsi, avare par accident plutôt que par nature, puisque, pouvant appeler sa pièce, Avarus, de même qu’il a nommé Pseudolus et Miles gloriosus, deux autres comédies, dont l’une est le portrait du trompeur et l’autre celui du soldat fanfaron, il a mieux aimé l’intituler simplement Aulularia, du nom du petit pot de terre dans lequel le trésor s’était trouvé renfermé. […] Un avare a cessé d’être père ; il a même, pour ainsi dire, cessé d’être homme ; car il semble s’être dépouillé de la plus naturelle de nos affections, celle qui nous porte à nous aimer nous-mêmes et à chercher en tout notre bien-être. […] Et la pièce où l’on fait aimer le fils insolent qui l’a faite, en est-elle moins une école de mauvaises mœurs3 ?  […] Il est faux que Molière fasse aimer le fils insolent, car il n’est pas vrai que le public l’aime. […] On se divertirait encore plus au parterre, si l’on se divertissait moins sur le théâtre : le public aime à rire tout seul ; et c’est surtout le sérieux des autres qui le fait rire.

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