Quand un Auteur s’est une fois déterminé pour un sujet, qu’il a fait choix de ses personnages, il doit faire passer la scene dans un lieu où ces mêmes personnages puissent agir sans blesser leur état, leur rang, leur fortune. […] Ceux qui n’ont pas l’adresse de fixer la scene dans un lieu propre aux personnages qui doivent y paroître, & aux choses qui doivent s’y passer, sont d’autant plus blâmables, que rien n’est plus aisé, quand on connoît le Théâtre, & qu’on sait s’approprier les ressources qu’ont mis en usage nos meilleurs Dramatiques, pour arranger la scene de façon que leurs acteurs puissent y venir, y parler & y agir décemment, & sans contrainte. […] Je viens de leur prouver qu’ils pouvoient introduire, faire parler, agir avec plus de décence certains personnages dans les rues d’une petite ville que dans celles de la capitale ; par conséquent ils ont le plus grand tort du monde de ne pas se mettre à leur aise quand ils le peuvent sans s’écarter de la vraisemblance & du naturel.

Tout cela est si gaiement présenté, qu’il est bien difficile de ne pas oublier toute la morale outragée pour applaudir au succès de la ruse, et quoiqu’il ne s’agisse que de crimes imaginaires, le rire devient une complicité réelle. […] C’est le héros de notre siècle pour les exploits dont il s’agit : un homme qui, vingt fois en sa vie, pour sauver ses amis, a généreusement affronté les galères ; qui, au péril de ses bras et de ses épaules, sait mettre noblement à fin les entreprises les plus difficiles ; et qui, tel que vous le voyez, est exilé de son pays pour je ne sais combien d’actions honorables qu’il a généreusement entreprises. […] Dites que dans tout cela il y a de l’ironie : mais est-ce assez de l’ironie quand il s’agit de crimes pareils ?