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28. (1848) De l’influence des mœurs sur la comédie pp. 1-221

Rousseau n’a vu, lui, dans le personnage d’Alceste, qu’un homme droit, sincère, équitable, un véritable homme de bien que Molière, par les travers qu’il lui prête, a dégradé à dessein pour l’immoler à la risée du parterre; aussi ne l’accuse-t-il de rien moins que d’avoir joué la vertu et de l’avoir rendue ridicule. […] La Harpe surtout, en relevant les erreurs de Rousseau, restitua au Misanthrope son véritable caractère ; il démontra parfaitement en quoi ce personnage est ridicule et condamnable malgré les généreux instincts auxquels il obéit ; et c’est, sans doute, à cet excellent critique, si décrié de nos jours, qu’il faut encore renvoyer les jeunes comédiens jaloux d’étudier les chefs-d’œuvre de nos maîtres. […] L’indignation de l’un nous donnerait de sa vertu la plus haute idée, la résignation de l’autre nous ferait presque douter de la sienne ; et Rousseau ne manque pas de dire que les maximes de Philinte ressemblent beaucoup à celles des égoïstes et des fripons; il va même, d’après l’idée qu’il s’était formée de ces deux personnages, jusqu’à refaire le plan de Molière : « Il fallait, dit-il, que le Misanthrope fût toujours furieux contre les vices publics, et toujours tranquille sur les méchancetés personnelles dont il était la victime.

29. (1900) Molière pp. -283

J’ai dit que Molière, poète monarchique, met partout la liberté là où elle est le plus précieuse, dans la vie privée ; et là, Rousseau, par les plus étroites défiances, la contraint et l’enchaîne dans l’intérêt de la « morale publique », un mot qu’il a, malheureusement pour lui, inventé, et dont on a fait depuis un bien étrange abus dans la jurisprudence, et dont on s’autorise pour prêcher les maximes les plus dures et les plus tristes. Il y a vraiment dans Rousseau deux âmes, deux grandes facultés contraires : — j’en suis encore fâché pour la théorie de la Faculté maîtresse ; il y a chez lui un grand poète et un grand tribun. […] Rousseau se passe toujours la fantaisie d’une petite ou énorme contradiction, dans cette même lettre où Rousseau interdit aux femmes les spectacles par la raison que les femmes ne vont au spectacle que pour s’y montrer, il leur permet, leur recommande, leur impose par décret d’État, un autre genre de distraction évidemment tout à fait innocent, dénué de péril, où l’on ne saurait apporter aucun dessein de coquetterie : le bal ; car il paraît que les femmes, qui ne vont au spectacle que pour s’y montrer, vont au bal pour ne pas s’y laisser voir. Mais attendez : Rousseau ne recommande pas le bal de tout le monde, mais une espèce particulière de bal, patriotique et patriarcal, présidé par le plus ancien magistrat de la République, qui prend ce jour-là le titre glorieux et la charge de Seigneur commis de la danse.

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