Segrais assure que Molière, dont ce double succès enfla le courage, dit alors : « Je n’ai plus que faire d’étudier Plaute et Térence ni d’éplucher les fragments de Ménandre ; je n’ai qu’à étudier le monde. » Il livra sa pièce à l’impression ; mais dans la préface, où, tout en s’excusant de le faire, il raille encore les originaux qu’il a pris pour modèles, il crut devoir cependant, pour détourner de lui la colère de personnages puissants, déclarer qu’il n’avait pas eu en vue les véritables précieuses, mais celles qui les imitaient mal (car on attachait alors à ce mot le sens le plus avantageux), et protester même que c’était contre son gré qu’il publiait son ouvrage. […] Plaute n’est plus qu’un plat bouffon, Et jamais il ne fit si bon Se trouver à la comédie ; Car ne pense pas qu’on y rie De maint trait jadis admiré, Et bon in illo tempore. […] Le sujet n’en appartient pas plus à Plaute qu’à Molière. […] Camoëns a donné aussi, sous ce titre, une imitation de Plaute, très pâle et très indigne de l’auteur des Lusiades ; mais tel était l’attrait de ce sujet, que ces imitations, toutes faibles qu’elles étaient, ont obtenu des succès de vogue dans les lieux qui les virent naître : l’original, on le pense bien, n’avait pas reçu un accueil moins éclatant à Rome ; car, quelques siècles encore après la mort du poète latin, on le représentait aux fêtes de Jupiter.
On sait quelles moissons de prémices il leva sur les œuvres de Plaute et de Térence, d’Horace et de Virgile, d’Ovide et de Lucrèce. […] Plaute en avait fait sa comédie de l’Epidicus, et, dès les premiers temps de la Renaissance, un poète aveugle, qui n’eut d’Homère que son infirmité, Luigi Groto, s’en était inspiré pour sa comédie de l’Emilia. […] Barbieri se dit que, puisque Luigi Groto avait pris le sujet à Plaute, il pouvait bien reprendre, lui, ce sujet à Luigi Groto ; et Molière, car c’est là que nous en voulons venir, Molière se dit, à son tour, qu’il avait tous les droits possibles sur un sujet qui, à force de changer de main, n’appartenait plus réellement à aucune. Il prit donc à Barbieri ce que Barbieri avait pris à Luigi Groto, et ce que celui-ci avait pris à Plaute. […] Mascarille, Scapin, ne sont que les copies des Sosies et des Daves de Térence et de Plaute, qui ont passé dans l’active et souveraine domesticité de la vie italienne, où tout se mêle et se confond encore si aisément : « Il y a, dit Stendhal, que nous ne nous lasserions pas de citer, il y a, en Italie, des fortunes différentes ; mais il n’y a pas de mœurs différentes !