Si Le Misanthrope ne rentre ni dans le comique avoué, ni dans le comique d’observation, ce n’est pas une comédie de caractère, et si cette pièce n’a pas d’intrigue (de légers incidents sans liaison entre eux, la querelle littéraire avec Oronte, le jugement du procès dont on parle sans cesse, la manière dont Célimène est démasquée, ne suffisent pas à constituer une intrigue), Le Misanthrope n’est point une comédie du tout. […] Nous aimons Alceste, nous haïssons Célimène, nous sommes indignés, attendris, émus, et nous repassons par toutes les impressions pénibles que Don Garcie de Navarre nous avait déjà fait éprouver, dans cette scène furibonde où Alceste s’écrie, sur le point de frapper Célimène : Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage.
Répétera-t-on, pour continuer la gageure, qu’Alceste et Célimène nous offrent encore la contre-épreuve de Molière et d’Armande ? […] Toutes les coquetteries de Célimène étaient en fleur, dans les savantes ingénuités d’Agnès. […] Célimène, vous le savez déjà, c est Armande ; Arsinoé, c’est mademoiselle du Parc, qui, transfuge ingrate de la troupe de Molière, qu’elle venait de quitter alors pour l’Hôtel de Bourgogne, ne méritait que trop de se voir mise ainsi en scène ; mais la bonne et délicate Eliante, c’est mademoiselle de Brie. […] Or, il aurait bien fallu qu’il l’avouât ; c’est ce qu’il avait fait ; et cette innocente, élevée dans sa maison, façonnée de ses mains, cette pupille choyée, que, plus malheureux que M. de la Souche, il prit dans la fleur de ses dix-sept ans pour en faire sa femme, ce ne fut pas seulement l’Agnès du dénouement de cette première comédie, ce fut pis cent fois : ce fut Célimène. […] Célimène, je n’ai pas besoin de vous le répéter, c’est sa femme, et vous savez comme il l’aime encore, tout en la maudissant !