C’est en vain qu’Arnolphe, après s’être aliéné le cœur d’Agnès, cherche à le saisir par des protestations amoureuses. […] Dans la fureur jalouse qui l’anime, il ne peut sortir de sa bouche que des erreurs et des extravagances ; et en effet, Agnès, à qui s’adresse surtout cette accusation, n’est ni méchante, ni fragile, ni extravagante, ni infidèle, puisqu’elle n’a jamais aimé son tuteur, et surtout elle n’est point imbécile. […] Avec cette science, la jeune Agnès donne à Arnolphe une excellente leçon en lui disant que, pour être aimé, il faut se faire aimer. Après avoir cité le passage où Arnolphe essaye trop tard de conquérir l’affection d’Agnès par des paroles amoureuses, M. de Laprade ajoute : « Tout cela est dans la vérité, dans la nature, et peint de main de maître ; mais c’est une nature laide, affligeante, dont le spectacle déprave. […] On reste frappé d’admiration devant la grâce naïve et l’ingénuité d’Agnès, devant les séduisants caractères de ses jeunes amoureuses, dont pas une ne ressemble aux autres, et qui toutes, par différents côtés, représentent si bien les qualités aimables de la femme.
Et d’abord, s’est-il peint lui-même dans le rôle d’Arnolphe de l’École des femmes, l’a-t-il peinte dans celui d’Agnès ? […] En outre, peut-on admettre que, de gaieté de cœur et pour le seul plaisir, un homme se représente lui-même sous les traits du grotesque tuteur d’Agnès et se bafoue aussi cruellement ? Molière, enfin, n’avait trace de l’égoïsme et de la sotte infatuation qu’il prête à Arnolphe ; sa femme, spirituelle et hardie, ressemblait encore moins à la timide et passive Agnès. On invoque des analogies ; ainsi l’histoire d’Agnès, remarquée par Arnolphe dès l’âge de quatre ans, obtenue par lui d’une mère pauvre et par ses soins élevée. […] Comme si l’éducation d’Agnès, tenue dans l’ignorance de tout, « rendue idiote autant qu’il se pouvoit, » n’était pas juste le contraire de celle d’Armande, telle qu’on la connaît ou qu’on la devine par l’École des maris !