Les plus excellentes piéces de Moliere sont, le Misantrope, le Tartuffe, les Femmes savantes, l’Avare, & le Festin de Pierre. […] Son Misanthrope, est à mon sens, le caractere le plus achevé & le plus singulier qui ait jamais paru sur le théâtre.
Tartuffe et Don Juan appartiennent à Molière, autant que Les Femmes savantes et Le Misanthrope. […] ils.comprenaient l’originalité de l’œuvre ; ils comprenaient que pas un, par exemple, depuis qu’il y avait des poètes comiques, n’avait imaginé le Misanthrope, un héros de vertu, tourmenté et complété par Célimène. […] Le Misanthrope et Les Femmes savantes, voilà les deux grandes œuvres. […] Le Misanthrope, Tartuffe et Les Femmes savantes, Le Bourgeois gentilhomme et La Critique de l’École des femmes, voilà certes le beau moment de la vie et de l’action de Molière. […] Il oubliait, dans ces divertissements d’un jour, que Molière était railleur du Tartuffe, du Misanthrope, et des Femmes savantes.
Il y aura toujours des avares, des misanthropes, des jaloux, des fâcheux ; mais les précieuses ont disparu, pour ne pas reparoître, à moins que ce ne soit sous un nouveau masque. […] Il a fallu un temps assez considérable pour constater le mérite de l’Ecole des Femmes, de l’Avare, du Misanthrope : ces trois chefs-d’œuvre n’ont pas réussi dans leur nouveauté.
Dans le Misanthrope de Shakespeare, Thimon, après avoir régalé ses amis, après avoir donné un bal à ses maîtresses, fuit loin de son ingrate patrie dans un désert, où il creuse son tombeau. […] Otez des œuvres de Moliere les scenes dans lesquelles les valets parodient leurs maîtres, & font l’amour pour leur compte ; enlevez-en encore toutes les aventures romanesques ; faites que les scenes du Misanthrope tiennent l’une à l’autre, & soient enchaînées comme celles de Pourceaugnac, Moliere deviendra tout-à-coup plus intéressant du double. Le parallele du Misanthrope avec Pourceaugnac fera lever les épaules à plus d’un lecteur.
» C’est en ces termes que Fénelon dans sa Lettre à l’Académie française, — et cinquante ans seulement après la mort de Molière, — croyait devoir déjà s’excuser de ce qu’il allait oser dire de l’auteur de Tartufe et du Misanthrope. […] Et c’est assurément trop, que de voir sacrifier à Molière tous ceux d’abord que leur mauvaise fortune mit jadis en conflit avec lui ; tous ceux ensuite qui, l’ayant sincèrement admiré, ne l’ont pas admiré sans mesure ; et tous ceux enfin qui, pour être grands dans un autre genre et d’une autre manière, ne sont pas moins grands que l’auteur du Misanthrope. […] Et c’est ici qu’il faut distinguer ses pièces, mettant à part les grosses farces qu’il a faites pour le peuple, et qu’on a tant reproché à Boileau d’avoir condamnées, et les séparant des comédies en lesquelles Molière mettait toutes ses complaisances : le Misanthrope, Tartufe et les autres. […] (Misanthrope, I, 1.) […] La morale de Molière : d’où il procède (École des Maris, École des Femmes) ; où il tend (Tartufe, Don Juan) ; à quoi il aboutit (Misanthrope, Femmes Savantes).
On aime à trouver ainsi l’auteur du Misanthrope dans ce cortège de nobles esprits qui font à distance si belle figure autour du grand Condé. […] Les deux faces de cette morale, exagérées pour les besoins de l’antithèse et de l’effet comique, se présentent avec un puissant relief dans les deux héros du Misanthrope, Alceste et Philinte. […] Ainsi, ce Misanthrope, qu’on n’admirera jamais trop, mais qu’on ne comprendra jamais assez. […] Conjecture d’autant plus vraisemblable, que le Misanthrope est, en plusieurs endroits, une reprise de Don Garcie de Navarre, tentative avortée dans un genre à demi tragique. Est-ce à dire que l’on puisse imaginer le Misanthrope d’après une conception différente ?
Qu’héritier d’une charge de valet de chambre du roi il ait été reçu avec bienveillance par Louis XIV, qu’il ait souvent réussi à l’amuser, lui ait été utile pour ses fêtes, et ait parfois employé à composer des divertissemens et des ballets le temps qu’il eût pu consacrer à donner des successeurs au Misanthrope et au Tartufe, tout cela est vrai. […] Ce qui le frappe surtout chez Molière, c’est la facilité avec laquelle l’auteur du Misanthrope trouve la rime. […] Je demande pardon de ces détails, car j’avoue ne pas trop comprendre quelle relation mystérieuse existe entre un sac d’écus et l’inspiration qui fait les Misanthrope et les Athalie ; mais peut-être ces chiffres ne sont-ils pas inutiles. […] Il n’est pourtant pas bien certain que le roi ait apprécié comme il le devait le génie de Molière, et quand il demandait à Boileau quel était le plus grand écrivain de son temps, le poète le surprit en lui nommant l’auteur du Misanthrope. […] On a bien souvent rappelé l’anecdote de Louis XIV partageant avec Molière son en cas de nuit, obtenant ainsi de ses valets de chambre qu’ils voulussent bien manger à la même table que l’auteur du Misanthrope et le traiter comme leur égal.
Paris demeura froid aux vers du Misanthrope. […] Habiles à parler et la prose et les vers, Quoique sœurs, elles ont des visages divers : L’une a l’air plus pensif sans être sérieuse ; Égayant les salons de son humeur rieuse, Sur les amis de cour, le fat et le pédant Elle aime à décocher le sarcasme mordant, Attache un misanthrope au char d’une coquette.
Le Misanthrope est, dans le sérieux, ce que la Comtesse d’Escarbagnas est dans le bouffon. […] Il fait du Misanthrope le principal mobile de son ouvrage ; il y joint en même temps les caracteres de la prude Arsinoé, du bel esprit & des petits-maîtres de Cour, de l’indulgent Philinte ; il y joint enfin le caractere de la coquette Célimene, non pour faire l’intrigue de la piece, puisqu’il n’y en a point, mais pour les mettre en opposition avec le caractere d’Alceste, & lui donner occasion de se développer, pour le faire briller davantage, sans cependant marquer eux-mêmes trop de foiblesse, parcequ’ils ont la portion de force & de comique qui leur est nécessaire pour briller durant le peu de temps qu’ils sont sur la scene.
Quand il s’agit de Tartuffe ou du Misanthrope, de l’École des femmes ou des Femmes savantes, il est bon, il est utile d’étudier les intentions de l’auteur. […] Les négligences qu’un œil exercé découvre sans peine dans cet ouvrage peuvent servir à expliquer un juge ment de La Bruyère qui serait pour nous une énigme impénétrable, si nous ne consultions que le Misanthrope et les Femmes savantes.
Les prétentions des Aristarques français pour leur auteur favori, se fondent principalement sur L’École des femmes, le Tartuffe, Le Misanthrope et Les Femmes savantes, pièces qui, à tous égards, sont composées avec beaucoup de soin. […] Le Misanthrope, comme on sait, fut d’abord reçu froidement par le public ; cette pièce est encore moins gaie que celles dont nous venons de parler ; l’intrigue est encore moins animée, ou plutôt il n’y en a pas du tout. […] Rousseau a déjà relevé cette ambiguïté du Misanthrope, qui fait que les choses même les plus dignes de respect y semblent tournées en ridicule. […] Il suffit que dans sa préface un auteur comique rende hommage au Misanthrope comme à son modèle, pour que je sache d’avance où le mèneront ses efforts. […] Le Méchant est une de ces pièces affligeantes, qu’un misanthrope atrabilaire pourrait voir avec plaisir comme une justification de son horreur pour la société, mais qui ne peuvent produire qu’une impression pénible sur des esprits doux et bienveillants.
Les perles dont se parent les héroïnes ne sont-elles pas des larmes tombées des yeux du Misanthrope avant la lettre ? […] Il n’avait pas encore fait le Cid, ni le Misanthrope, comme ses deux rivaux, mais il avait une grande force sous la main, la jeunesse. […] Ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’on n’a pas accusé Molière d’avoir pris le Misanthrope à Érasme. […] Qui veut seul s’opposer à l’entraînement universel n’a, selon moi, pour ressource que de suivre l’exemple du célèbre Misanthrope, et d’aller jouir dans quelque solitude profonde de sa tant belle sagesse. » N’est-ce pas que ce Misanthrope c’est celui de Molière ? […] À quelles heures, ce comédien, occupé jour et nuit au théâtre, écrit-il donc Le Misanthrope ?
Le Misanthrope, Le Tartuffe, Le Bourgeois gentilhomme et Les Femmes savantes ne sont que des chapitres, et les plus importants, de ce cours de morale dramatique à l’usage des gens du monde. […] L’imputation porte sur Le Misanthrope et l’accusateur est J. […] Le génie de Molière s’y produit dans toute sa force, avec une aisance, une pureté, une touche plus sûre peut-être encore que celle du Misanthrope, et, si on osait le dire, du Tartuffe même. […] Et d’abord, quand on a lu Le Misanthrope, Tartuffe et Les Femmes savantes, on a peine à comprendre les critiques que Fénelon et La Bruyère ont faites du style de Molière, et on ne se les explique qu’en les rapportant à ses premiers essais ou, dans les œuvres de son âge mûr, au langage populaire qu’il a dû mettre, pour être vrai, dans la bouche de quelques vauriens de bas étage.
Riccoboni attribue l’invention aux François : tels sont le Misantrope, le Joüeur, le Glorieux, &c. […] Le même auteur observe qu’on peut distinguer les pieces de caractere des comédies de caractere mixte ; & par celles-ci il entend celles où le poëte peut se servir d’un caractere principal, & lui associer d’autres caracteres subalternes : c’est ainsi qu’au caractere du Misantrope, qui fait le caractere dominant de sa fable, Moliere a ajoûté ceux d’Araminte & de Célimene, l’une coquette, & l’autre médisante, & ceux des petits maîtres, qui ne servent tous qu’à mettre plus en évidence le caractere du Misantrope. […] Moliere met en opposition les mœurs corrompues de la société, & la probité farouche du Misantrope : entre ces deux excès paroît la modération du sage, qui hait le vice & qui ne hait pas les hommes. […] Quoi de plus sérieux en soi que le Misantrope ? […] Dans ses comedies de caractere, comme le Misantrope, le Tartuffe, les Femmes savantes, c’est un philosophe & un peintre admirable.
., étaient un peu indignes de l’auteur du Misanthrope. […] Ouvrez le Tartuffe, Le Misanthrope, L’École des femmes, ou même quelqu’une de ces farces grotesques où la composition semble devoir être plus libre, Le Médecin malgré lui, Monsieur de Pourceaugnac, etc., et lisez-en une page. […] Le Misanthrope est une œuvre infiniment hardie ; car, si Alceste gronde, c’est sur la cour, plus que sur Célimène, et qu’est-ce que la cour, sinon le monde du roi arrangé pour lui et par lui ? […] La satire allait aussi près du trône que possible, et cette satire était donnée non pas à la cour, mais à la ville ; Le Misanthrope fut représenté à Paris. […] Diderot est le premier qui ait dit : « Si l’on croit qu’il y ait beaucoup plus d’hommes capables de faire Pourceaugnac que Le Misanthrope, on se trompe. » De la poésie dramatique.
Et pensez-vous d’ailleurs qu’un misanthrope comme moi, capricieux, si vous voulez, soit propre auprès d’un grand ? […] Le Misanthrope est une véritable galerie des travers et des ridicules alors en faveur à la cour. […] La représentation du Misanthrope rouvrit nécessairement toutes les plaies de son cœur, et ralluma tout son amour. […] Le dénouement du Misanthrope prouve qu’Alceste se berçait d’un faux espoir : les efforts de Molière ne furent pas moins malheureux. […] » disait Molière à Boileau, qui le félicitait à l’occasion du Misanthrope.
Prenons, par exemple, Le Misanthrope. Qu’est-ce que c’est que Le Misanthrope ? […] Eh bien, cette manière de comprendre Le Misanthrope, qui a été bien certainement la première et qui est restée bien certainement la bonne, aujourd’hui elle ressemble à un blasphème. […] Ne lui demandez pas un conseil pratique ; il sait très bien qu’il ne corrigera pas Le Misanthrope, ni Le Bourgeois gentilhomme, ni Le Malade imaginaire ; ces personnes-là ont existé de tout temps et elles existeront toujours.
Cette lucidité prouve avec quelle exactitude Molière a décrit dans le Misanthrope le fanatisme du bien. […] L’enseignement que renferme le Misanthrope peut maintenant s’apercevoir. […] Molière a-t-il eu l’intention réelle d’exposer dans le Misanthrope les effets du fanatisme ? […] Dans le Misanthrope, il est évident cependant que Molière a voulu signaler les excès auxquels peut entraîner la passion du bien. […] Le mot Misanthrope, par lequel Molière intitule sa pièce, n’indique même pas le but qu’il s’est proposé, car Alceste n’est misanthrope morose, injuste, inconvenant, [p.81] que par suite de son fanatisme du bien, que par le chagrin que lui causent l’injustice des hommes, les vices de ses semblables.
Voilà un sentiment qui me paraît outré ; car je ne vois pas même que Molière ait jamais mieux représenté le Bourgeois Gentilhomme et Pourceaugnac, que Poisson les représente ; qu’il ait mieux soutenu le caractère du Misanthrope, que Beaubourg et Dancour le font valoir ; plus délicatement grimacé que la Toreillière, et ainsi des autres. […] Je suis assez content de l’Histoire du Misanthrope : mais je n’approuve nullement que l’Auteur nomme rapsodie, une Dissertation qu’une personne de Littérature fit dans le temps pour le défendre contre les Critiques. […] Il était inutile que notre Auteur mystérieux voulût nous, cacher sa médisance ; tout le monde sait que la défense du Misanthrope est de l’Auteur, qui nous apprend si galamment tous les mois ce qui se passe dans toute l’Europe.