C’est le sens comique, c’est le génie théâtral qui lui a inspiré Tartuffe. […] Ne serait-ce pas aussi l’impression de la vieille légende espagnole dont Molière n’a pas amorti l’effet en la traduisant sous la forme comique et en l’assaisonnant du sel gaulois ? […] Il y a donc du comique dans la pièce, mais ce comique n’est pas attaché ni proportionné à ce qui est vraiment vicieux ; c’est l’égoïsme et la frivolité qui rient ; c’est l’honneur qui donne à rire. […] Dans cette littérature, il n’est point surprenant que le chef-d’œuvre du théâtre comique ait eu pour objet la peinture du monde mis en regard de la générosité, la loyauté et de l’honneur. […] Ce conflit peut être comique ou tragique, suivant le poète.
Et pourtant, dans ce chef-d’œuvre du haut comique, il n’y a pas de comédie. […] On ferait tort à la gloire de Molière en la réduisant à trois comédies d’intrigue, à deux comédies bourgeoises, à trois chefs-d’œuvre de haut comique. […] Pourquoi l’imitation est-elle plus comique que l’original ? […] Tel indice indifférent le conduit à une veine de comique ; telle intention timide lui suggère une création hardie. […] Si l’observation est la marque du génie dans le poète comique, en quoi y a-t-il moins de génie à reconnaître la nature dans l’auteur qu’on lit, qu’à la surprendre sur l’original qui passe ?
Loret, dans La Muse historique, nous signale l’arrivée D’une troupe de gens comiques Venant des climats italiques, qui débuta, le dimanche 10 août 1653, dans la salle du Petit-Bourbon. […] Pendant ces années qui précédèrent immédiatement le retour de Molière à Paris, les Italiens eurent une grande vogue ; ils étaient les héros comiques du moment ; on leur faisait jouer des scènes burlesques, même à la ville, et hors du théâtre. Loret, dans La Muse historique, raconte ou invente, sous la date du 14 février 1654, l’anecdote suivante dont le docteur Lolli et le Pantalon Turi sont les héros : Baloardo, comédien, Lequel encor qu’Italien N’est qu’un auteur mélancolique, L’autre jour, en place publique, Vivement attaquer osa Le Pantalon Bisognoza, Qui pour repousser l’incartade, Mit soudain la main à l’espade, Et se chatouillèrent longtemps Devant quantité d’assistants ; Qui, croyant leur combat tragique N’être que fiction comique, Laissèrent leurs grands coups tirer Sans nullement les séparer. […] Le cardinal de Retz, par exemple, s’en sert constamment dans ses Mémoires pour railler les personnages ou faire ressortir le comique des situations.
Il se garde bien d’être comique de peur de ne pas être assez odieux. […] Tels sont les renseignements que nous avons pu recueillir sur la maison natale du plus grand poète comique qu’on vit jamais. […] Shakespeare a été un auteur comique ; et, par sa tendance à s’affranchir de l’unité de genre dont nos anciens écrivains se faisaient une loi, il l’a été jusque dans ses tragédies. […] Ils nous entretenaient des vieux comiques, de Turlupin, Gaultier-Garguille, Gorgibus, Crivello, Spinette, du Docteur, du Capitan, Jodelet, Gros-René, Crispin. […] Ce fut donc danser soupers que j’appris une espèce de suite chronologique de comiques jusqu’aux Sganarelle, qui ont été le personnage favori de Molière, quand il ne s’est pas jeté dans les grands rôles à manteau, et dans le noble et haut comique de L’École des femmes, des Femmes savantes, du Tartuffe, de L’Avare, du Misanthrope, etc.
Despreaux changea de langage après la mort de ce grand Comique ; il l’avoit loué vivant, il le blâma mort si l’on en veut croire certains Censeurs ignorans. […] Peut-être cela vient-il de ce que les graces & les finesses d’Aristophane ne sont pas à la portée de tous ceux qui peuvent sentir le sel & les agrémens de Moliere ; car il faut demeurer d’accord que pour bien juger des Comiques Grecs, il faudroit connoître à fond les défauts des Atheniens. […] C’est en celles-là que l’on diroit que notre Moliere est plus fertile, que les Comiques de l’Antiquité. […] Il est sûr qu’un Poëte Comique n’est pas aussi excusable que les Philosophes qui forgent des mots. […] Je sçay qu’il connoissoit parfaitement les anciens Comiques : mais enfin il a pris à notre Theatre ses premieres idées : Vous sçavez que son Cocu Imaginaire est il Ritratto des Italiens ; Scaramouche interrompu dans ses amours a produit ses Fâcheux ; ses Contre-temps ne sont que, Arlequin, Valet étourdi, ainsi de la plûpart de ses Pieces, & dans ces derniers temps son Tartufe n’est-il pas notre Bernagasse.
Scarron, l’écrivain comique à la mode, dut voir Molière, en entendre beaucoup parler tout au moins. […] Scarron ne puisa-t-il point là l’idée de son Roman Comique ? […] Le grand comique fut, par excellence, un génie éducateur, et de la foule et des individus. […] Au lieu de l’achever, Molière écrivit et représenta à la suite la Pastorale comique... […] Il semble que le grand comique, pressentant sa fin, se soit hâté dans les dernières années de sa vie.
Il me semble qu’un monologue comique dans ce goût, seroit, tout comme dans la tragédie, plus ou moins intéressant, selon ce que l’acteur verroit35. […] Plaute, poëte comique, né à Sarsine, ville d’Ombrie, aujourd’hui la Romagne. […] On y rencontre par-tout cette force comique qui va chercher le ridicule jusques dans les replis du caractere.
Notre Comique a vu toutes les beautés & tous les défauts de cette scene. […] C’est ainsi, chez le Comique Latin, que les fourbes agacent la curiosité des vieillards qu’ils veulent tromper. […] le comique en est-il aussi simple ? […] Tout cela est burlesque, & point du tout comique, parcequ’il peche trop contre la vraisemblance. […] Il est aisé d’en concevoir la raison, pour peu qu’on soit versé dans l’art théâtral, & qu’on ait réfléchi sur les ressources du comique.
Nous ne manquons point d’Ecrivains qui ont efleuré la Vie de cet excellent Comique. […] On n’a pas manqué de donner un article à notre Comique dans le Dictionnaire de Moreri. […] Ou supposoit à tort que ces imitations étoient une marque de sterilité, comme si Moliere eût été plus blâmable d’emprunter ce qui convenoit à son sujet dans les Comiques Latins, que ceux-ci d’avoir orné leurs ouvrages de ce qu’ils trouvoient dans les Comiques Grecs. […] Depuis ce temps-là, dit-on, il ne s’attacha qu’au Comique, où il avoit toûjours du succès, quoique les gens délicats l’accusassent d’être un peu grimacier. […] Mais quel homme on auroit pû faire de ces deux Comiques !
On n’est jamais plus convaincu de l’art & de la profondeur d’un Comique, que lorsqu’on le voit aller avec adresse au devant des critiques que le spectateur pourroit lui faire, & le préparer d’avance à trouver bon tout ce qu’il va voir & entendre, tandis qu’il l’auroit trouvé mal sans la précaution de l’Auteur. […] L’Abbé Brueys, Auteur Comique, associa à son travail Palaprat.
Mais Molière n’était pas un ingénu ; il savait ce que vaut la vertu d’une grande coquette courant les provinces sur le chariot du Roman comique. […] Elle jouait aussi parfaitement les amoureuses comiques. […] Elle avait suivi son père dans le Roman comique de Molière. […] Eudore Soulié nous apprennent que la servante qui chez Molière portait le nom de Laforest, au moment de la mort du grand comique, avait nom Renée Vannier. […] Il fut aimé pour sa gaieté, pour le naturel de son jeu, pour la vérité de son comique dans les rôles de paysan.
Les Auteurs Comiques de toutes les nations ont un privilege dont il ne faut pas abuser ; c’est celui de tourner en ridicule dans la capitale, les habitants des provinces. […] Le poëte, & le poëte comique sur-tout, doit-il être l’esclave né d’un préjugé national ? […] Les Auteurs comiques seroient bien surpris, si je leur disois que Sudmer leur a déja donné cette excellente leçon : ils n’ont qu’à prendre pour eux ce qu’il adresse à Milord.
Il en est même de fort dangereux, & un comique rend de très grands services à un Etat s’il parvient à l’en purger. […] Qu’on propose un pareil ridicule à nos comiques de la bonne compagnie, ils croiroient déroger en le traitant. […] C’est le fond & non l’écorce qu’un Poëte comique doit peindre.
C’est ainsi que Marivaux écrivant des comédies, faisait encore des romans, et que Lesage écrivant des romans, faisait encore des comédies ; car, ce n’est pas seulement la facilité de combiner des scènes et de développer une intrigue qui constitue l’auteur comique, c’est l’art de saisir les caractères, d’observer les mœurs, et d’en présenter un tableau dramatique et fidèle. […] C’est lui qui, ouvrant au génie la plus vaste et la plus brillante carrière, a fait voir tout à la fois dans l’auteur comique, le peintre éloquent, le moraliste sévère et l’historien fidèle. […] L’auteur comique peut donc reproduire d’anciens personnages sous d’autres couleurs, et peindre une seconde fois des figures qui ne sont plus les mêmes.
Cette même naïveté du dialogue, cette entente dramatique, cette vivacité et ce naturel des peintures et des sentiments, c’est encore notre plus ancien théâtre qui, dans le genre comique, nous en fournit des exemples. […] Il y a là certainement, Messieurs, une donnée, un commencement de vrai comique ; mais l’invention est fade et le jeu’ de scène on ne peut plus monotone. Il faut nous reporter à une date plus ancienne, à une œuvre contemporaine de Louis XI, pour trouver dans le genre comique, une pièce qui mérite, je ne dirai pas d’être comparée, mais d’être égalée aux meilleures scènes de Molière. […] Ce second assaut est plus vigoureux encore que le premier ; la défense dépasse aussi tout ce qu’on peut imaginer et va jusqu’au sublime du comique. […] Nous pourrons, Messieurs, dans notre étude sur Molière, trouver l’occasion de revenir en passant à ce théâtre des Jodelle, des Grevin, des Jean de la Taille, des La Rivey, des Hardy, des Mayret, des Gombaud, des Rotrou, ne fût-ce que pour y glaner quelques germes des situations que le génie de notre grand comique a su s’approprier en les transformant.
Du point où doit commencer l’action d’une fable comique. […] Il n’est pas, comme on l’a prétendu, le créateur du comique larmoyant ; plusieurs Auteurs avant lui, Plaute & Térence même, ont donné des pieces dans ce genre.
Regnard est après Moliere l’Auteur comique le plus généralement estimé ; il faut donc, si ce que nous venons de dire est vrai, qu’il soit après Moliere celui qui a le plus imité ses prédécesseurs ; aussi est-ce la vérité même. […] Nous en avons assez recueilli pour faire voir que l’Auteur comique n’a pas saisi les plus plaisants par eux-mêmes, ou par les situations qu’ils pouvoient amener & développer. […] Agissons de bonne foi, & prenons dans toute la piece la distraction qui produit l’effet le plus comique. […] Bertrand, les exhortant à se tourner de son côté pour mieux voir l’animal malin : il me semble, dis-je, que Merlin dans une pareille situation auroit été très comique. […] Regnard ne s’est tiré d’affaire qu’au moyen de certains traits plaisants, & par les jeux comiques de cette piece ».
Son caractere n’est pas mieux frappé que les quatre autres : tous ont une portion de ridicule à-peu-près aussi forte ; ils fournissent presque autant de comique l’un que l’autre. […] Il fait du Misanthrope le principal mobile de son ouvrage ; il y joint en même temps les caracteres de la prude Arsinoé, du bel esprit & des petits-maîtres de Cour, de l’indulgent Philinte ; il y joint enfin le caractere de la coquette Célimene, non pour faire l’intrigue de la piece, puisqu’il n’y en a point, mais pour les mettre en opposition avec le caractere d’Alceste, & lui donner occasion de se développer, pour le faire briller davantage, sans cependant marquer eux-mêmes trop de foiblesse, parcequ’ils ont la portion de force & de comique qui leur est nécessaire pour briller durant le peu de temps qu’ils sont sur la scene.
Le capitaine Rhinocéros mourut au mois d’octobre 1624 : « Quand ce capitan trépassa, rapporte son camarade Beltrame, on trouva dans son lit un très rude cilice, ce qui causa quelque surprise, car nous n’ignorions pas qu’il était pieux et buon devoto, mais nous ne savions rien de ce cilice. » Il entrait sans doute, dans cette émulation de piété, un secret besoin de protester contre l’excommunication sévère qui pesait en France sur la profession comique. […] Les inventions étranges et monstrueuses, les machines, les pompes du spectacle, le chant, la musique l’emportèrent sur les combinaisons plus ou moins ingénieuses du génie comique italien.