Si quelque Auteur moderne étoit tenté de faire une nouvelle guerre aux jaloux, & de réunir les traits de jalousie épars dans les différentes pieces qui ont pour objet cette passion, je dois l’avertir qu’il trouvera dans Pantalon jaloux, piece italienne, une scene plaisante. […] Nous nous contenterons de dire que Baron n’est exempt de blâme, ni comme traducteur, puisqu’il est beaucoup plus long que l’original, & bien moins élégant ; ni comme imitateur, puisque l’ouvrage imité perd en passant sur notre scene quelques beaux traits, y conserve des défauts, & sur-tout son air étranger.
Voici des traits que l’on ne retrouve pas, j’en suis sûr, dans la célèbre traduction de M. […] Avouons que si le trait est d’un disciple, mieux vaudrait peut-être un adversaire.
Il en donne avis à son maître ; et en lui donnant cet avis, ne pensez pas, lui dit-il, faire comme dernièrement, car je n’ai que des reproches de vous… » Ce dernier trait du valet au maître : « Je n’ai que des reproches de vous… », manque dans Molière, qui certainement ne l’eût pas négligé s’il en avait eu connaissance. […] Il a donc éprouvé le besoin de justifier aux yeux de ses amis sa sympathie pour Molière et sa prédilection pour Tartuffe, de rejeter sur le gallicanisme la faute d’avoir songé à refuser au grand comédien les honneurs d’un enterrement religieux, et de montrer que les Jésuites, bien loin d’avoir reconnu un des leurs sous les traits de Tartuffe, ont applaudi la pièce ou ne l’ont blâmée qu’en termes très vagues. […] D’après le rédacteur du Gids, Molière a pu emprunter quelques-uns des traits de son héros aux Jansénistes, d’autres aux Jésuites, mais son « imposteur » a été dès l’abord un type général, non un portrait. […] À ce propos, on dit qu’un jour Thalie Fut commander des vers à la Folie : « Çà, dit ma sœur, sous ton joyeux bonnet, Il me faudrait trouver un plein sonnet De traits falots, où l’antithèse brille ; Je veux surtout que la pointe y fourmille… — Soit ! […] Même disposition que dans les éditions de 1693 et 1710 ; la gravure est d’un trait plus fin ; le décor est un peu différent : le plafond est plus simple ; la porte est surmontée d’un panneau oblong, dans lequel on distingue assez difficilement Vénus, assise, abordée par l’Amour ; le paysage est remplacé par un portrait-médaillon.
S’il faut encor que je le die, Cet angle qui se ferme à traits presque tirés, Est la mort d’un parent dont vous hériterez.
On conçoit aisément que le spectateur voyant Lélio & Mario l’un à côté de l’autre, & pouvant comparer leurs traits, leur taille, il lui est très difficile de les trouver ressemblants, au point surtout de faire méprendre un pere & une sœur.
Il est encore nécessaire que le héros, en paroissant, se caractérise tout de suite par quelque trait frappant qui fasse dire au public : le voilà bien tel qu’on nous l’a peint, ou tel que le titre nous l’annonce.
Tout cela ne peut se faire, si l’imitateur, habile dans l’art d’imaginer, ne crée un plan, une marche, des personnages, des incidents propres à faire briller les traits qui l’ont frappé dans la piece étrangere, & les dégager du fatras qui les dépareroit à nos yeux.
Pour ceux-là, certes, ce serait une duperie assez grande de leur prodiguer les grâces du style ; et le tribun qui attaque, et le rhéteur qui s’abandonne à sa violence éloquente, et l’esprit calme en ses raisonnements irrésistibles, et l’ironie aux pieds légers, et la colère en ses déclamations furibondes, et la satire à l’accent aigu, et le pamphlet, — ce capharnaüm de toutes les bonnes et de toutes les mauvaises puissances de la parole ; et la phrase élégante, incisive, indiquant d’un trait la malice ingénieuse, accorte, avenante ; ou bien, d’un trait vif et acéré, immolant sans pitié la renommée honteuse de ce bandit, la gloire usurpée de ce voleur autant de grâces, autant de violences, autant de tonnerres et d’éclairs qui échappent à la vue obtuse, à l’oreille fermée, à l’esprit bouché, à la tête inintelligente, au lecteur ébloui de ces vives et soudaines lumières pour lesquelles il n’est pas fait. […] Voilà donc la bouffonnerie qui devient un sermon. — Molière, tout au rebours : il a été grave, sérieux, austère pendant tout le cours de la pièce ; il a oublié bien souvent qu’il nous avait promis une comédie, et maintenant que justice est faite, que le scélérat est englouti, Molière se souvient qu’il a voulu en effet écrire une comédie, et qu’il doit, tout au moins, nous laisser sur un trait plaisant ; hé bien, ce trait plaisant, au milieu du souffre qui brûle encore, il le tire du trembleur Sganarelle. […] son balai à la main, disait des choses… — Il y avait le crilleur de sorts, représenté par mademoiselle de Morfontaine, et une Égyptienne sous les beaux traits de mademoiselle de Lorge.
Nous aurons soin d’en rappeller les principaux traits à mesure que nous en aurons besoin.
Diderot le connoît ; je vais en donner l’extrait, & je le copierai tel que je l’ai trouvé dans l’Histoire du Théâtre Italien, pour qu’on ne puisse pas m’accuser de le flatter, & de lui donner des traits de ressemblance qu’il n’avoit pas dans son origine.
Purgon vient le menacer de mille espèces de maux ; la quatorzième, où Toinette joue le médecin, et devine toutes ses maladies : voilà les traits les plus comiques de cette pièce, qui fut la dernière de l’inimitable Molière.
Elle nous fait souvenir de ce modèle unique par le malicieux badinage de ce premier acte, où paraissent d’abord les sœurs de l’héroïne, véritables princesses de conte de fée, envieuses comme on l’est dans la Belle et la Bête ; ensuite, au troisième acte, par le spirituel entretien de l’Amour, ce Prince Charmant, et de son valet Zéphire : — voilà pour Molière ; — aussitôt après, par la déclaration tendrement ingénue de Psyché à l’Amour, et par la réplique tendrement jalouse de l’Amour à Psyché : — voilà pour Corneille ; — enfin, de-ci de-là, dans toute la pièce, par quelques traits d’enjouement et de sentiment, par la souplesse et la légèreté du langage, par le tour de tel couplet et par sa cadence.
En l’écoutant, nous regretterions le trait de lumière qui déjouerait l’intrigant dans ses malices.
Ces réflexions n’ôtent rien à la valeur artistique de toutes les œuvres de Molière, ni à la portée morale de plusieurs, ni à l’éclat du bon sens qui brille par traits saillants jusque dans les plus folles scènes ; mais elles sont nécessaires si l’on veut se rendre compte de la morale de Molière.
Un des traits les plus plaisants de ce rôle qui nous reviennent à la mémoire est celui de ce capitan à qui l’on reprochait d’avoir laissé enlever sa maîtresse par les corsaires barbaresques, et qui répondait : « Debout sur la proue de mon vaisseau, j’étais dans une telle fureur que le souffle impétueux qui sortait de ma bouche frappant les voiles du navire ennemi lui imprima une impulsion si rapide qu’il fut impossible de l’atteindre7. » C’était là le ton ordinaire de ce personnage qui fut si longtemps applaudi sur tous les théâtres de l’Europe, et dont nous ne comprendrions bien le succès que si le règne des traîneurs de sabre recommençait parmi nous.
Voici un trait de lui qui n’est que plaisant et spirituel : il appartient à la période de 1683 à 1697, où Mezzetin jouait à Paris ; il est ainsi raconté dans l’Histoire de l’ancien Théâtre italien : « Mezzetin avait dédié une pièce à M. le duc de Saint-Aignan, qui payait généreusement les dédicaces.