Un siècle plus tôt, Molière se fut appelé Rabelais, un siècle plus tard, Voltaire ; alors il eut été un réformateur, parce qu’il eût vécu dans un temps de réforme et de combat ; au xviie siècle, dans un temps où l’organisation sociale semblait achevée et quasi parfaite, il fut Molière, le contemplateur ; rien de plus. […] Et cependant le génie reste, et le goût change, et nous n’en raisonnons pas comme Voltaire, qui n’en raisonnait déjà plus comme Boileau.
Il le lit chez Montmor, un gassendiste ; il le lit chez Ninon, qui lui raconte l’anecdote des deux cassettes, dont Voltaire fit une comédie plus tard, confiées par Gourville sur le point de s’expatrier par prudence, l’une à un ami, libertin comme lui, et sentant le fagot, qui rendit le dépôt plus tard ; l’autre, à un dévot, qui le garda. […] Les bons pères qui ont élevé Corneille et (bienfait inestimable) Voltaire, les bons pères aimaient le théâtre, composaient des pièces qu’ils faisaient jouer entre eux et, entre temps, permettaient aux enfants, leurs disciples, d’aller voir certains spectacles honnêtes, comme le brûlement des hérétiques en Grève, mais des hérétiques seulement.
Non ; ce qui nous intéresse surtout, c’est d’apprendre qu’Aristophane ne développe pas d’intrigues, ne peint pas de caractères ; que son comique est une gaieté sans frein et une fantaisie sans bornes, animant, poétisant le tableau des mœurs publiques ; qu’il est tantôt lyrique et tantôt bas, à la fois cynique et charmant, tel enfin que Voltaire a pu l’appeler un bouffon indigne de présenter ses farces à la foire , et que Platon a pu dire : les Grâces choisissant un tombeau trouvèrent l’âme d’Aristophane . […] Tiré de Molière, de Voltaire et de Lessing.
— Enfin, pas un mortel, pas même Voltaire, n’eut jamais en partage, à lui seul, tous les genres d’esprit ; c’est l’esprit qu’on n’a pas qui gâte celui qu’on a. […] Laissez venir seulement ces deux corrupteurs de la morale et de l’innocence, laissez venir Louis XV et Voltaire, alors Don Juan le scélérat, ne sera plus qu’un homme à bonnes fortunes, un philosophe ; il s’appellera M. le duc de Richelieu, pendant qu’en Angleterre, dans la patrie d’Hamlet, on verra ce même personnage de don Juan changer de nom, de costume, et s’appeler Lovelace ! […] J’ai besoin de vous avertir que c’est ici le même Lauzun qui fut le plus brillant cavalier et le plus aimé de la cour de Louis XIV ; que c’est le même chevalier de Grammont un bel esprit à la Voltaire dont Hamilton a fait son charmant héros. […] « Il fut forcé, dit Voltaire, d’exiler de Rome son propre frère, d’envoyer à Versailles son neveu, le cardinal Chighi, faire satisfaction à Sa Majesté, de casser la garde corse, qui avait tiré sur notre ambassadeur, et d’élever une pyramide qui contenait l’injure avec la réparation. » Voilà un poète anglais bien venu à faire dire à Louis XIV : On n’a jamais dit que Louis XIV n’eût pas abaissé son sceptre devant la crosse de l’Église.
Eh bien, prenez le langage de l’homme de cour dans Dom Juan, et vous trouverez des phrases hachées fin et menu comme celles de Voltaire, dans la scène où Dom Juan veut séduire Charlotte et Mathurine. […] Entre les cinq ou six chefs-d’œuvre de Molière je ne choisis pas ; je ne mets Dom Juan ni au-dessus ni au-dessous du Tartuffe et du Malade imaginaire ; mais je dis seulement que toutes les autres pièces de Molière sont autant de coins du monde profondément observés ; mais que Dom Juan est à lui seul tout un monde ; Dom Juan contient une conception complète, vraie ou fausse, de l’univers et d’un état social, comme le Candide de Voltaire ou comme le Faust de Goethe. […] Je ne le trouve nulle part dans les grands auteurs du siècle de Louis XIV ; il n’est pas même dans Voltaire avec ce sens ; je le dis, parce qu’on a accusé Voltaire d’avoir inventé la scène du Pauvre : Voltaire dit l’espèce humaine, le genre humain ; il ne dit pas l’humanité. […] La tragédie nous fournit quelques lumières indirectes ; mais de la façon qu’elle a été conçue en France, peignant les passions sous leurs traits les plus généraux, choisissant ses héros dans l’antiquité la plus reculée, et, alors même qu’elle ne se prive point de les faire parler à la moderne, réduite cependant par la nécessité de respecter son sujet à ne point souffrir une invasion trop manifeste et trop entière du moderne dans l’antique, vivant d’ailleurs par nature dans un monde de personnages et de sentiments idéaux, astreinte, à ce titre, à des traditions rigoureuses et à des vertus de convention que les dernières années du xviiie siècle ont à peine osé atteindre, elle a bien pu recevoir l’empreinte du changement des idées de Corneille à Racine, de Racine à Voltaire et à M.
II, III, X) doit être maintenu dans toute sa sévérité, malgré l’essai de réhabilitation tenté par Voltaire.
Toujours est-il que ce repas chez la future protectrice de Voltaire fut une des dernières parties de plaisir de Molière, la dernière sans doute. […] Ce silence n’a rien de fort merveilleux : peut-être que la Polyxène, roman qui avait alors quelque réputation et dont l’auteur se nommait Molière, eut quelque part à ce choix. » Bret, dans son édition des Œuvres de Molière (Paris, 1773), fait suivre la Vie de Molière par Voltaire, qu’il réimprime, d’un supplément où il rapporte une tradition qu’il est bien difficile de contrôler, mais qu’on ne saurait passer sous silence. […] « Dors-tu content, Voltaire ? […] Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas. » Ne dirait-on point un de ces vers-maximes que Voltaire introduisait dans ses tragédies, comme des engins de guerre ? […] Voltaire, Diderot, Beaumarchais sont de la race élue qui est la nôtre.
Le directeur m’a montré comment il avait fait mettre, autant qu’il est possible, à l’abri des bombes, cette admirable statue de Voltaire, qui est la pièce la plus précieuse de sa collection de marbre.
Lekain, le favori de Voltaire, et pour tout dire, son disciple, n’était guère plus grand que M. […] On ne va pas, disait Voltaire, à la postérité avec de gros bagages. […] Il l’est, le fut, ou le doit être : disions-nous autrefois du docteur Blanche, ce que disait Voltaire de l’amour ! […] Par quelle force (de nos jours cet accident n’est arrivé qu’à Fréron, insulté en plein théâtre par Voltaire) ! […] Regnard suit Molière, dit-on ; oui, comme, à la même heure, l’abbé Dubois suivait M. le Régent au bal masqué, en lui donnant des coups de pied au cul ; comme Voltaire suivait le grand prêtre dans Œdipe, en portant la queue du grand prêtre, et en tirant la langue au public.
La reconnaissance et l’enchantement populaires ont attaché à cette brillante époque le nom du prince qui était le centre et le principal ressort de ce noble mouvement des cœurs et des intelligences : Voltaire a prouvé que ce n’était pas sans raison.
L’influence de ces plaisirs est exprimée par Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap.
Ces deux pièces ne sont-elles pas l’œuvre d’un précurseur de Bayle et de Voltaire ? […] Ce n’est pas celle de Voltaire, qui fait du théâtre un instrument de philosophie et qui a pour but de répandre le scepticisme.
. — Pascal, Swift et Voltaire. — Regnard et le Sage. — Piron et Legrand. — Caractère général du tragique. — II. […] L’ironie la plus légère, la plus fine, fût-ce celle de Voltaire, est toujours grave au fond, quelque enjouée qu’en soit la forme.
Cette tradition, Voltaire l’avait recueillie et s’en était fait l’interprète en termes concis, mais positifs, qui semblaient devoir fixer l’opinion de la postérité, surtout après que Taschereau, qui ne mettait point en doute les infortunes conjugales de Molière, eut accentué et précisé les motifs de la condamnation. […] Si les restes de Molière ont en le sort de ceux de Voltaire. […] Ainsi, la violation des sépultures de Voltaire et de Rousseau ne serait pas un fait sans précédent, et l’analogie des deux scènes lugubres est frappante.
Le XVIè siècle (Rabelais) le voue au ridicule, le XVIIIe (Voltaire) lui arrache ses dernières victimes... […] J’ai raconté sans observations, sans réflexions, la vie domestique de Molière, ses troubles et ses souffrances ; mais de quelle manière le grand écrivain dramatique fut préparé en lui par les influences lointaines du Théâtre Antique et du Théâtre Espagnol ; comment ce drame national de Tartuffe devait naître au XVIIe siècle dans l’âme de Molière ; comment il mit fin aux ténèbres du moyen-âge ; comment, après Rabelais, il prépara le siècle de Voltaire; comment tous les charlatans s’indignèrent de cette œuvre, voilà ce qu’il eût fallu dire. […] Âme douce et candide, il avait en lui déjà tous les pressentiments de Voltaire.
Les Anglais ont fait l’un et l’autre ; et le Plain Dealer, de leur Wycherley, espèce d’imitation que Voltaire a imitée à son tour dans La Prude, est une des meilleures comédies de leur théâtre.