Ils ont dit mille choses inutiles : ils ont dit comment se battaient les hommes d’autrefois, et non pas comment ils vivaient ; ils se sont préoccupés des violences de l’espèce humaine, ils ont négligé d’en raconter les mœurs, les grâces, les élégances, les ridicules, si bien que c’est en pure perle, ou peu s’en faut, que ces misérables sept mille années que nous comptons depuis qu’il y a des hommes en société, ont été dépensées pour l’histoire des usages et des mœurs de la société civile. […] Il n’y a plus d’autre almanach que la blancheur de ces belles dents, la vivacité du regard, la grâce de la démarche, et toutes les jeunesses extérieures, à l’usage des femmes qui n’ont plus que celles-là.
Si la tragédie des Indiens est sans pathétique, sans véritable intérêt humain, parce qu’elle roule presque tout entière sur la violation de quelque usage puéril consacré par leur théocratie, la comédie des Chinois est encore plus insignifiante. […] Les hommes n’étaient pas tous de la même taille. « La liberté enfantait des colosses et des choses extraordinaires228. » Mais, dans notre siècle de fer, l’uniformité est partout, dans la coupe des habits, dans les usages du monde et dans la forme des gouvernements.
Molière prit les mardis, les vendredis, les dimanches ; et peut-être, la troupe de Louis XV, en jouant de préférence Molière, ces jours-là, tenait-elle de proche en proche cet usage de ses fondateurs. […] L’usage, dans la plupart des fêtes qu’on donne à Barcelone, est de tirer au sort des rubans ; le cavalier qui a la couleur d’une dame, est obligé de lui dire des douceurs, et la dame ne peut se dispenser d’y répondre ; l’on se doute que, grâce aux soins de la princesse, Carlos a un ruban semblable au sien ; il en profite avec tant de vivacité que Diane, satisfaite, croit pouvoir reprendre toute sa fierté, lorsqu’il déclare froidement ne s’être efforcé de paraître tendre que pour céder aux lois de la fête. […] On n’avait oublié aucun des talismans d’usage pour faire une bonne chambrée ; aussi la salle fut-elle à peine ouverte, que les musiciens cédèrent poliment leur place, et que le parterre, aussi poli, à sa nouvelle manière, les remplaça en sifflant, mais d’impatience, tant il lui tardait d’applaudir ; ce qu’il fit de main de maître, pendant toute la représentation. […] Je sais qu’un comédien qui, en parlant à son interlocuteur, le regarderait constamment entre deux yeux, ferait une des gaucheries les plus contraires à son art, parce que, dans le monde, ce n’est point l’usage ; parce que la partie des spectateurs à laquelle il tournerait le dos, ne pourrait ni l’entendre distinctement, ni voir l’expression de son visage ; mais je sais aussi que les acteurs, en pareil cas, ont, comme les peintres, la ressource des trois quarts : le Cléante dont je parle me semble négliger un peu trop cette règle. […] L’acteur dont je veux parler me semble partager ce dernier sentiment… Cette matière est difficile, très difficile à traiter… : disons rapidement qu’il est, dans l’une et dans l’autre de ces deux manières, des nuances propres à être saisies, à être adroitement mises en usage, mais avec le soin le plus scrupuleux d’adoucir celles de la dernière, et principalement lorsque Tartuffe arrive en disant, avec volubilité : Tout conspire, madame, à mon contentement, J’ai visité de l’œil tout cet appartement ; Personne ne s’y trouve, et mon âme ravie… Tout beau, Tartuffe, il est des femmes auprès de qui l’indécente brusquerie est toujours déplacée ; d’ailleurs, Molière vous dit-il de quitter vos gants, votre chapeau ?
Quand Moliere veut nous instruire de toutes les bigoteries que Tartufe a mises en usage pour s’insinuer dans l’esprit d’Orgon, & s’introduire dans sa maison, il les met dans la bouche du crédule Orgon, qui en est la dupe, & les raconte à Cléante qui les ignore.
Apprenons de lui l’art d’en faire usage & de les placer selon leur juste valeur.
Encore une fois, ce n’est point le mariage qui est la gloire de madame de Maintenon, c’est le désintéressement, c’est le sacrifice de son amour, c’est le vertueux usage de l’empire qu’il lui donnait sur le cœur du roi pour le remettre dans ses devoirs : et c’est à l’honnêteté morale de madame de Maintenon, à celle de sa société tout entière, à la considération et aux aimables qualités qu’elle tenait de ses nobles amies, qu’est due la gloire que j’ai pris plaisir à célébrer.
Mais ce qui semblerait prouver qu’avant la pièce de Molière le nom de Tartuffe existait déjà, et qu’il se prenait en très mauvaise part, c’est qu’il l’avait d’abord changé en celui de Panulphe, par égard pour des hypocrites puissants : on a pu voir, par la lettre en réponse au libelle sur Le Festin de Pierre, que son auteur parle presqu’à chaque ligne des tartuffes, comme si l’expression était dès longtemps consacrée par l’usage. […] Qu’un commentateur explique des usages qui n’existent plus, ou des expressions tombées en désuétude, qu’il éclaircisse des passages qui se rapportent à des anecdotes ou à des événements du temps, et qui sont devenus obscurs pour le vulgaire des lecteurs, il fait alors un travail utile6, et peut mériter quelque estime ; mais il tombe dans un ridicule indélébile si, du haut de son petit tribunal, il fait subir au génie une censure pointilleuse.
Remarquons, cependant, qu’il y eut chez lui plusieurs La Forest successives, dont l’une, de son vrai nom Louise Lefebvre, mourut en 1668 ; suivant un usage qui n’est pas perdu, lorsqu’il changeait de cuisinière, il donnait à la nouvelle le nom de l’ancienne. […] Il faut encore ne pas négliger un ensemble de petits moyens, dont notre temps fait un usage prodigieux, qu’il croit à tort capables de remplacer tout le reste, mais auxquels un directeur doit toujours faire une place.
Mais, parmi les débris du naufrage de Molière, il y a deux ou trois choses dont, pour moi, je regretterais la perte, et notamment celle des coups de bâton. à l’usage des adultes, que notre siècle trop délicat ou trop compatissant voudrait abolir119. […] C’est à ce dernier genre de malheur qu’il faut rapporter ces moyens corporels d’éducation pour les adultes, que notre siècle, ou très délicat, ou très compatissant, veut bannir du théâtre, quoique Molière, Holberg et d’autres grands maîtres en aient fait un fréquent usage.
Ce secret de faire passer sur le théâtre un caractère à son original, a été trouvé si bon, que plusieurs Auteurs l’ont mis en usage depuis avec succès. […] Mais Molière fut refusé ; parce que Baron n’eut pas la prudence de cacher au Philosophe l’usage qu’on voulait faire de son chapeau. […] Ils y réussirent ; et Molière pour rendre leur union plus parfaite quitta l’usage du lait, qu’il n’avait point discontinué jusqu’alors ; et il se mit à la viande.
Fontenelle était mort depuis deux fois vingt ans que M. de La Harpe, en pleine chaire d’humanités à l’usage des petits messieurs et des petites dames du Lycée, dissertait, tout un jour, pour savoir si l’Otello français, Orosmane, est plus malheureux quand il a tué Zaïre amoureuse et fidèle, que lorsqu’il doute de Zaïre inconstante ? […] À ce moment de l’histoire, il se passait à la cour de France ce qui s’est passé autrefois à la cour de Russie. — Il y avait la vieille cour austère, solennelle, dévouée aux vieux usages, à la vie correcte et réglée ; il y avait la jeune cour, folle, amoureuse, prodigue, avide de mouvement et de plaisirs. […] qu’il y avait, autrefois, deux sociétés bien différentes, Paris et Versailles, la ville et la cour ; ces deux sociétés étaient bien plus séparées l’une de l’autre, que si elles l’eussent été par des montagnes et par des villes, elles étaient séparées par les usages et par les mœurs. […] Il me semble que je l’entends d’ici qui rit à gorge déployée, et qui dit à mademoiselle Plessis, sa digne camarade : — « Figure-toi, ma chère (au Théâtre-Français, c’est l’usage, le fraternel toi descend et ne remonte pas, la plus ancienne dit toi à la plus jeune, et la plus jeune lui dit vous), figure-toi, ma chère, qu’ils y ont été pris ; ils ne m’ont pas reconnue dans le rôle de Sylvia ; ils se sont parfaitement contentés de ma petite personne mignonne, de ma petite voix criarde, de mon petit regard agaçant ; ils ont battu des mains ; sois donc tranquille, puisqu’ils m’ont prise pour Sylvia, toi-même tu peux représenter, demain, la Célimène du Misanthrope.
Elle voudra faire un nouveau monde à son usage, et sa poursuite toute spéculative d’un idéal inaccessible pourra se concilier avec l’infirmité pratique d’une rêverie impuissante. […] Sa morale, qui semble se réduire aux dehors civils de la bienséance et aux lois capricieuses de l’usage, n’est donc point un modèle proposé par Molière. […] Molière disait d’Armande Béjart à Chapelle : « Quand je la vois, une émotion m’ôte l’usage de la réflexion. » 53. […] La Bruyère disait d’une femme savante : « C’est une pièce de cabinet qu’on montre aux curieux, qui n’est pas d’usage. » Mais ce n’est pas une raison pour les abêtir, comme le voulait Arnolphe.
Il faut choisir pourtant les mots mis en usage Par les meilleurs Auteurs.
On met impudemment toute chose en usage Pour ôter de chez moi ce dévot personnage : Mais plus on fait d’effort afin de l’en bannir, Plus j’en veux employer à l’y mieux retenir : Et je vais me hâter de lui donner ma fille, Pour confondre l’orgueil de toute ma famille.
Il faut le lire ; il mérite d’être lu, qu’on en dise ce qu’on voudra, à l’usage que Molière en a fait, on voit qu’il en a dit erat quod tollere velles, et tant s’en faut qu’il ait eu tort. […] Rousseau : « […] l’intention de l’auteur étant de plaire à des esprits corrompus, ou sa morale porte au mai, ou je faux bien qu’elle prêche est plus dangereux que le mal lui-même, en ce qu’il séduit par une apparence de raison, en ce qu’il fait préférer l’usage et les maximes du monde à une exacte probité ; en ce qu’il fait consister la sagesse en un certain milieu entre le vice et la vertu ; en ce que ; au grand soulagement des spectateurs, il leur persuade que pour être honnête homme il suffit de n’être pas un franc scélérat. ». […] Tiens, voilà un louis d’or ; mais je te le donne pour l’amour de l’humanité. » « Cette scène, convenable au caractère impie de Don Juan, mais dont les esprits faibles pouvaient faire un mauvais usage, fut supprimée à la seconde représentation, et ce retranchement fut peut-être cause du peu de succès de la pièce. » Est-il assez singulier que Voltaire, d’abord connaisse si peu la mentalité du parterre de 1665 qu’il s’imagine que la scène du pauvre aurait fait le succès de la pièce ; ensuite que de cette scène, qu’il cite sans doute de mémoire, il oublie tout l’essentiel ? […] Tous ces défauts humains nous donnent dans la vie Des moyens d’exercer notre philosophie : C’est le plus bel emploi que trouve la vertu ; Et si de probité tout était revêtu, Si tous les cœurs étaient francs, justes et dociles, La plupart des vertus nous seraient inutiles, Puisqu’on en met l’usage à pouvoir sans ennui Supporter, dans nos droits, l’injustice d’autrui. […] Il est le type éternel du snob et c’est-à-dire de l’homme qui admire et imite les usages d’une classe dont il n’est pas et qu’il juge supérieure à la sienne.