Si d’un autre côté je voulois mettre sur le théâtre le Faux Magnifique 62, j’aurois, à la vérité, l’avantage de ne pas trouver le fond du caractere épuisé, parcequ’on a mis rarement la magnificence en action63 : mais la matiere est-elle bien comique, bien morale ?
Mais quelle intention morale peut-on supposer à l’auteur ? […] « Passe pour la morale, répondit Molière ; mais le reste ne vaut pas la peine que l’on y fasse attention : n’est-il pas vrai, mon père ? […] Ils discutèrent alors divers points de morale très sombres, et se livrèrent aux réflexions les plus plaisamment sérieuses. […] ce qu’annoncerait l’orateur, le poète n’a fait que le peindre ; et la comédie de Molière n’est autre chose que cette morale en action. […] et, ce qui doit plus étonner en lui, que d’assertions calomnieuses à l’égard de la plus morale des comédies !
Je dis à M. le Premier Président de Lamoignon*, lorsqu’il empêcha qu’on le jouât, que c’était une Pièce dont la morale était excellente, et qu’il n’y avait rien qui ne pût être utile au Public ». […] La signification théologique ou morale est primordiale : El Burlador est essentiellement une pièce d’intention religieuse invitant le pécheur au repentir immédiat. […] Prédicateur le plus suivi du XVIIe siècle, Bourdaloue frappait son auditoire par la morale exigeante et le style austère de ses sermons : [...].
À force de raisonner sur les choses qui font ordinairement la matière de semblables repas entre gens de cette espèce, on tomba sur la morale vers les trois heures du matin. ― Que notre vie est peu de chose ! […] Je dis à Mr …e, lorsqu’il empêcha qu’on ne le jouât, que c’était une pièce dont la morale était excellente, et qu’il n’y avait rien qui ne pût être utile au Public. » Molière laissa passer quelque temps avant que de hasarder une seconde fois la représentation du Tartuffe : Et l’on donna pendant ce temps-là Scaramouche Hermite, qui passa dans le Public, sans que personne s’en plaignît […] Passe pour sa morale ; mais le reste ne vaut pas la peine que l’on y fasse attention.
Mais, d’un autre côté, un père, non seulement sacrifié à son fils, mais assez impudemment dupé et bafoué par lui, offensait des bienséances qu’il n’est permis de violer que quand, de leur violation même, résulte une grande leçon morale, comme dans L’Avare.
A-t-on plus ou moins de mérite à le traiter, à le mettre en action sur notre scene, à l’assujettir aux regles, aux bienséances du théâtre, à l’accommoder aux usages, aux mœurs de son pays, à faire ressortir du fond même une morale qui soit propre aux hommes de sa nation ?
Sa vraie supériorité est dans la satire littéraire ; dans la satire morale, il est déclamateur : c’est Juvénal et Horace qui lui fournissent son indignation.
Molière doit au burlesque Scarron les révérences d’Agnès, le sermon d’Arnolphe, la Matrone et ses discours31 ; il lui doit la morale et le comique amenés naturellement par le motif qui a déterminé son choix, et par ses ridicules précautions pour éviter le malheur qu’il redoute. […] Partout elle eut, en paraissant, le plus grand succès ; plusieurs personnes, et Jean-Jacques surtout, lui reprochent son immoralité ; plusieurs autres vantent l’utilité de sa morale : voilà un grand procès à juger ; mais voyons auparavant Boccace, dont George Dandin est tiré. […] On ne peut douter encore que Molière n’ait pris, dans la seconde nouvelle, les divers caractères de ses personnages ; la sotte vanité de George Dandin, la morgue de monsieur de Sotenville, l’affectation de madame de Sotenville à soutenir qu’une femme, à qui elle a donné le jour, ne peut trahir son devoir, et le dédain offensant d’Angélique pour son époux ; par conséquent, la morale de la pièce, oui, la morale, il est peu de comédies, je pense, qui en présentent une plus utile à l’humanité. […] Mais que si la plus grande décence, et surtout pendant la scène du rendez-vous, ne prouve pas au spectateur que vous êtes sincère, en disant à votre mari, après l’avoir battu : « Rendez grâce au ciel de ce que je ne suis pas capable de quelque chose de pis », la pièce, loin d’être morale, devient d’une immoralité révoltante ? […] Depuis ce moment, Molière, occupé sans relâche à faire de Baron un grand acteur, ne néglige aucune occasion de lui donner aussi des leçons d’amabilité, de générosité et de morale, surtout lorsqu’il peut les rendre plus frappantes par l’exemple70.
Nombre de faits, scandaleusement célèbres, attestent que, pendant cette longue période, il exista pour la haute noblesse une sorte de morale et même de probité cavalières, tellement propres aux personnes de cette classe, qu’on les voyait se glorifier avec impunité des mêmes choses qu’un roturier n’eût pas faites sans honte ou sans châtiment.
Destouches ne laisse donc rien à desirer dans son imitation, puisqu’il abandonne à Shakespeare cet Alcibiade qui se promene avec une armée & deux concubines, ces imprécations que vomit Timon, & Timon lui-même, lorsque de poli, charmant qu’il étoit, il devient une bête féroce ; puisqu’il nous dispense d’assister aux délibérations du Sénat d’Athenes ; puisqu’il nous épargne l’horreur de voir Evandra se poignarder sur le tombeau & sur le cadavre d’un forcené ; puisqu’enfin à travers tout le fatras anglois il ramasse de quoi faire une piece en cinq actes, à caracteres, & très morale ».
Si elle ne l’est pas, c’eût été le calomnier, Mais la belle morale que mon Censeur débite à cette occasion, est inutile pour moi ; car je lui déclare que je ne connais point son Provençal, et que les rares qualités qu’il lui donne me le font encore plus méconnaître ; car je m’en rapporte beaucoup plus au jugement de Molière, qui était Connaisseur, qu’à tout ce que le Censeur nous dit de son Héros ; et pour lui faire voir que je n’y entends point finesse, qu’il le nomme, je veux bien être chargé de la confusion de l’avoir mis sur la Scène dans la Vie de Molière, supposé que je n’aie pas rapporté la vérité.
Aucune morale chrétienne, N’est plus louable que la sienne, Et l’on connaît évidemment, Que dans son noble emportement, Le vice est l’objet de sa haine, Et nullement la race humaine, Comme elle était à ce Timon, Dont l’Histoire a gardé le nom, Comme d’un monstre de nature. […] Aujourd’hui bien des gens regardent comme une leçon de morale cette même pièce qu’on trouvait autrefois si scandaleuse. […] Chapelain, M. l’abbé de Marolles, et quelques autres personnes ; je dis à M. le premier président de Lamoignon, lorsqu’il empêcha qu’on ne la jouât, que c’était une pièce dont la morale était excellente, et qu’il n’y avait rien qui ne pût qu’être utile au public. » [*].
Scarron allait écrire son Roman comique, comme l’espagnol Rojas avait écrit son Viage entretenido ; tous deux ont reproduit, dans ces étranges peintures, un côté fantasque des mœurs de leur temps ; tous deux ont retracé une page bizarre de l’histoire morale de leur pays. […] Mais il met ces paroles dans la bouche d’un valet, et d’un valet dont son maître est obligé de tout entendre, de sorte que dans cette rudesse même on peut voir une leçon morale. […] De même, il a soin, autant que possible, de placer chacun dans son naturel et dans sa situation morale ; on lui voit donner les rôles débonnaires et conciliants à Mlle Debrie, les rôles de coquette à Armande Béjart, les ferrailleurs à Debrie, etc. […] Sganarelle et Ariste personnifient, l’un ce fonds de rugosité et de barbarie morale qui venait du passé, l’autre la société nouvelle qui tendait à un respect plus grand de la conscience et de la personnalité humaines, même dans les faibles, dans les femmes et les enfants. […] Il glisse assez légèrement toutefois sur le reproche qu’on a fait à certains endroits de sa pièce de choquer la religion : « Ces paroles d’enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées, dit-il seulement, par l’extravagance d’Arnolphe et par l’innocence de celle à qui il parle. » Immoral et sans pudeur, Arnolphe cherche à exploiter la morale et la religion à son profit ; il y a là un trait essentiel de ce caractère profondément conçu.
Son esprit est comique, il est vrai, mais sa morale est sérieuse et son âme profonde : aussi l’aborde-t-on souvent sans le saisir, et pour apprécier les traits de son génie, ce n’est pas trop que de s’y reprendre à deux fois. […] Combien de scènes blâmées, d’intentions calomniées, dans lesquelles il faut toujours finir par reconnaître un trait de morale et de génie ! […] A force de raisonner sur les choses qui font ordinairement la matière de semblables repas entre gens de cette espèce, on tomba sur la morale vers les trois heures du matin. […] Je dis à M…, lorsqu’il empêcha qu’on ne le jouât, que c’était une pièce dont la morale était excellente, et qu’il n’y avait rien qui ne pût être utile au public. » Molière laissa passer quelque temps avant que de hasarder une seconde fois la représentation du Tartuffe ; et l’on donna pendant ce temps-là Scaramouche ermite, qui passa dans le public, sans que personne s’en plaignît.Louis XIV, ayant vu cette pièce, dit, en parlant au prince de Condé93 : « Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière, ne disent pas un mot de celle de Scaramouche. — C’est, répondit le prince, que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs ne se soucient guère, tandis que celle de Molière les joue eux-mêmes ; et c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. » Molière ne laissait point languir le public sans nouveauté ; toujours heureux dans le choix de ses caractères, il avait travaillé sur celui du Misanthrope, il le donna au public ; mais il sentit, dès la première représentation, que le peuple de Paris voulait plus rire qu’admirer, et que pour vingt personnes qui sont susceptibles de sentir des traits délicats et élevés, il y en a cent qui les rebutent faute de les connaître. […] Passe pour sa morale ; mais le reste ne vaut pas la peine que l’on y fasse attention.
Il lui doit, comme nous l’avons vu, la matrone & ses discours : il lui doit l’opposition sublime d’une fille simple avec un Jaloux qui se croit fort rusé : il lui doit la morale amenée naturellement par les malheurs que le héros éprouve en préférant une sotte à une femme d’esprit.