Il seroit bon qu’un sujet de comédie fût tout à la fois intéressant, comique & moral ; cependant il seroit ridicule de rejetter celui qui ne réuniroit pas ces trois qualités, comme nous le prouverons ailleurs ; mais il faut de toute nécessité qu’il soit vraisemblable. […] Saisissons avec empressement tout ce qui se présentera dans nos sociétés sous un aspect moral & comique ; mais gardons-nous bien d’imaginer que toute aventure qui nous a déridés en passant, doive également amuser le public. […] Il semble donc que nous devrions parler, à la suite de ce Chapitre, du but comique & moral ; mais nous réserverons cette matiere pour le volume où il sera question du genre des pieces.
On devait se plaire à la peinture d’amours dégagés d’un érotisme grossier, accueillir même l’exagération des plaisirs attachés à des communications purement intellectuelles et morales. […] Rien n’est bon, rien n’est innocent, rien n’est sans danger dans l’ennemi vaincu ; ni ses doctrines, ni ses habitudes morales, ni ses plaisirs intellectuels.
Chercher dans Amphitryon des allusions personnelles, un enseignement moral, me parait un pur enfantillage ; autant vaudrait mesurer la portée historique et philosophique des Fourberies de Scapin. […] Le poète a beau quitter la terre pour le séjour des dieux, tracer pour le maître de l’Olympe un rôle de fourbe et pour Mercure un rôle d’entremetteur : il ne peut se dégager pour longtemps de ses souffrances morales.
. — Caractère moral du quatrumvirat de Molière, La Fontaine, Racine et Boileau. […] Mais il était moraliste, et surtout moral, quand il disait au roi dans sa première épître : …………… Laissons là les sièges, les batailles ; Qu’un autre aille en rimant renverser les murailles, Et souvent sur tes pas, marchant sans ton aveu, S’aille couvrir de sang, de poussière et de feu ; À quoi bon d’une muse au carnage animée Échauffer ta valeur déjà trop allumée ?
Cette espèce de ridicule ne se trouve point dans les princes ou dans les hommes élevés à la cour, qui couvrent toutes leurs sottises du même air et du même langage ; mais ce ridicule se montre tout entier dans un bourgeois élevé grossièrement, et dont le naturel fait à tout moment un contraste avec l’art dont il veut se parer. » Pour sentir quels durent être à la fois l’effet comique et l’effet moral de la pièce, il faut se reporter au règne de Louis XIV, et considérer quel était, à cette époque, l’état de l’opinion, relativement à la noblesse. […] D’après ce principe, auquel Molière n’a jamais manqué (j’excepte quelques raisonneurs, personnages sans action, et bornés à des discours moraux), madame Jourdain, toute sensée qu’elle est, a pour tant certaines prétentions qui le sont assez peu : mère d’une grande fille à marier, elle se fâche de ce qu’on lui parle de son jeune âge comme d’une chose passée, et elle demande avec aigreur, si c’est que la tête lui grouille déjà . […] » Ce sont exactement les mêmes paralogismes que j’ai déjà réfutés à l’occasion de L’Avare et de George Dandin ; c’est toujours ce double vice de raisonnement, qui consiste, d’une part, non pas seulement à poser en fait ce qui est en question, mais à affirmer le contraire de ce qui est certain ; et, de l’autre, à confondre le but moral que se propose le poète, avec les moyens qu’il emploie pour y arriver. […] L’histoire de Psyché a exercé la sagacité de plusieurs de ceux qui ont essayé de découvrir les vérités morales ou physiques cachées sous le voile des fables. La plupart, et Fulgence le premier, y ont vu une image de l’union de l’âme et du corps, ou plutôt de l’empire des passions sur l’âme ; d’autres y ont aperçu la peinture de l’homme profane régénéré par son admission aux mystères ; des théosophes, sans s’inquiéter si une fiction du paganisme pouvait se prêter raisonnablement à une interprétation toute chrétienne, y ont reconnu le péché originel effacé par la rédemption ; enfin, un savant danois de nos jours y a découvert un mythe moral, faisant partie de ces mystères (sacra) auxquels les femmes seules étaient initiées, et destiné à être représenté devant elles, sous la forme d’un drame symbolique (symbolica et dramatica representatio), afin de leur rappeler les dangers qui assiègent la beauté, les devoirs que la femme mariée doit accomplir au milieu des difficultés et des épreuves de tout genre, et les récompenses qui sont réservées à celle dont la chasteté et la foi conjugale ne se seront point démenties.
Si Molière montre presque toujours les femmes sous un jour moral, ce n’est pas seulement par intention et par conviction ; c’est aussi par art : c’est que la femme ne peut plaire qu’honnête. […] Cette raison, qui explique en partie pourquoi le théâtre féminin de Molière, est généralement moral, peut amoindrir un peu son mérite au point de vue de l’intention ; mais il ne reste pas moins grand, quand on songe à tant d’excellents préceptes et de leçons délicates sur des sujets qu’il est peut-être impossible de traiter parfaitement dans des livres ou dans des sermons. […] II. — Sainte-Beuve a fait au point de vue littéraire la môme remarque qu’on fait ici au point de vue moral : il dit que Dorine est moins un personnage réel qu’une personnification de la muse de Molière, de son humeur comique, tantôt rieuse, tantôt profonde (Port-Royal, liv.
Du But Moral. […] Tout homme qui verra jouer l’Avare, le Tartufe, même le Cocu imaginaire & George Dandin, sentira tout de suite, & sans mettre son esprit à la torture, le but moral de ces ouvrages. […] Devineroit-on présentement quel but moral s’est proposé l’Auteur ? […] Je ne parle pas des tournures morales de nos Auteurs larmoyants, ces Jérémies modernes qui pensent assaisonner merveilleusement leurs moralités en les mêlant à des larmes. […] J’ai donné la préférence à ces deux tirades de Regnard : non qu’elles soient les plus instructives des théâtres connus ; mais elles sont peut-être les seules morales que l’Auteur ait faites.
Un tel génie devait être content de soi, quand il touchait si admirablement les points où le monde s’imagine que la morale n’a rien à voir, parce que le sens moral du monde est émoussé par la double habitude du plaisir, qu’on croit honnête tant qu’il n’est point scandaleux, et de l’intérêt, qu’on croit permis tant qu’il n’est point criminel. […] Jusque dans la triomphante campagne de Molière contre les médecins, campagne qui dura autant que sa vie, puisqu’elle commença avec sa première farce du Médecin volant 199, et ne se termina que par la cérémonie du Malade imaginaire où il mourut200, il y a quelque chose d’utile et de moral. […] Ce n’est pas l’usage des drames ni des romans de donner beaucoup de place au devoir : sous ce rapport, Molière a le mérite et l’honneur d’être plus moral et plus vrai.
Avant d’arriver à cette puissance souveraine du talent, Molière avait passé par un long noviciat d’épreuves morales et d’observations. […] » disait une femme d’honneur à un sage prélat de nos jours : celui-ci répondit : « Je vous le demande à vous-même. » Il n’y a pas d’autre solution à ce problème moral que cette réponse du bon sens et de la religion indulgente. […] La Fontaine n’a pas songé tout d’abord à être un poète moral.
Plus naturel que le premier, plus resserré et plus décent que le second, plus agissant et plus animé que le troisième : aussi fécond en ressorts, aussi vif dans l’expression, aussi moral qu’aucun des trois.
En un mot, de même que la révolution a détruit plus tard toutes les juridictions ecclésiastiques et ramené au tribunal de la loi commune tous les délits, même ceux commis par les ecclésiastiques, de même Molière a revendiqué pour la juridiction de la comédie, c’est-à-dire de la raison libre, tous les délits moraux menaçant les intérêts et les droits de la société et des individus, lors même que ces intérêts auraient un côté commun avec les intérêts religieux. […] Non : il y a toujours un Dieu qui veut être adoré en esprit et en vérité : et quand tous les hommes lui refuseraient les justes hommages qui lui sont dus, ils ne lui seraient pas moins dus par chacun des hommes, et chacun des hommes ne serait pas moins criminel en les lui refusant. » C’est tout à fait dans le même sens et dans la même pensée que Kant a dit quelque part : « Il est absolument impossible de prouver par l’expérience avec une entière certitude qu’il y ait jamais eu un seul cas où une action, extérieurement conforme au devoir, a reposé uniquement sur des principes moraux et sur le respect intérieur du devoir. […] D’ailleurs, il faut le reconnaître, si l’on devait renoncer aux pratiques extérieures aussitôt que la foi diminue et est ébranlée, ou quand on a des faiblesses morales, combien de pratiquants seraient réduits à devenir des libres penseurs ? […] La catastrophe physique, dont nous ne sommes qu’à moitié dupes, n’est que le symbole du châtiment moral que notre conscience réclame. […] Il nous montre les choses telles qu’elles sont, et n’est en cela ni plus moral ni plus immoral que la nature elle-même dont il est l’interprète.
Et pourtant, si l’exposition prolongée d’une idole excite l’impatience, c’est un bien vif plaisir que de ressaisir l’habitude extérieure et l’être moral d’un homme de génie. […] De même que sa personne physique est généralement regardée comme un type de beauté, un lieu-commun déjà vieux le comble de toutes les vertus morales. […] Une dernière cause, toute physique, vint s’ajouter à ces causes morales : il était malade, d’une maladie particulièrement douloureuse, et qui le faisait souffrir à la fois dans son corps et dans son esprit. […] Parmi ses causes, les maladies de l’estomac viennent en première ligne, puis l’excès de sensibilité, les préoccupations morales, les fatigues d’une existence trop occupée. […] Ces médecins ne purent manquer de lui signaler, outre ses maux physiques, le mal moral dont il souffrait.
Corneille avait oublié de punir son Menteur, et par là il avait privé sa fable de moralité ; Molière punit ses Précieuses par un affront sanglant qu’elles s’attirent, et par là il a mérité d’être regardé comme l’inventeur du comique de caractère moral.
Quoique l’ouvrage n’ait pas de but moral, et ne prétende pas même offrir une peinture de mœurs, on ne peut au moins s’empêcher de voir, dans le petit rôle de Gorgibus, une esquisse fidèle des opinions, des manières et du langage des petits bourgeois de ce temps-là. […] Faisant choix d’un tuteur, ridiculement amoureux de sa pupille qu’il opprime, et lui donnant pour rival un jeune homme qui ne lui doit ni respects, ni égards, il a tout concilié, l’effet comique et les convenances morales. […] Dans l’examen de cette dernière pièce, je ferai remarquer la ressemblance des deux-ouvrages, dont le but dramatique est absolument le même, quoique avec des moyens différents, et dont le but moral, sans être tout à fait pareil, a du moins beaucoup d’analogie.